Depuis quelques jours, l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) est la cible de critiques alarmistes qui laisseraient entendre qu’elle serait responsable de la disparition prochaine du cerf élaphe dans le Vercors… En cause, l’évasion de quelques cerfs sika de Valfanjouse, un ancien enclos de chasse que l’ASPAS est en train de transformer en Réserve de Vie Sauvage® : une zone qui, à terme, permettra à la faune et la flore d’évoluer librement, sans chasse, ni coupe de bois. Alors que la préfecture de la Drôme a ordonné l’abattage des cerfs échappés, l’ASPAS tient à rappeler que les évasions d’animaux d’enclos de chasse est une réalité partout en France, et que le risque d’hybridation ne date pas d’aujourd’hui.
En rachetant l’ancien enclos de chasse « dans son jus », l’ASPAS savait qu’elle allait hériter d’un certain nombre de problèmes à régler, en raison de la réglementation plus que laxiste de l’État à l’égard de ces lieux sordides et opaques : importation d’animaux exotiques à l’origine incertaine, contrôles sanitaires parfois inexistants, clôtures trouées, etc. Les réglementations empêchent également la libération des populations d’animaux sans connaître leur état sanitaire, et surtout sans autorisation des services de l’État.
À Valfanjouse, une espèce présente dans l’enclos est particulièrement problématique : le cerf Sika. Ce cervidé originaire d’Asie est en effet susceptible de s’hybrider avec les cerfs européens (le cerf élaphe). Après des décennies de cohabitation en milieu clos avant le rachat de ce terrain par l’ASPAS, les cerfs de Valfanjouse sont de potentiels hybrides qui ne peuvent par conséquent être relâchés dans le milieu naturel. Une étude scientifique est actuellement en cours pour le déterminer.
Du fait de l’arrêt des activités de chasse, il a fallu agir vite pour empêcher les surpopulations. Pour éviter que la préfecture n’ordonne l’abattage des animaux, l’ASPAS a demandé début 2021 une autorisation préfectorale pour procéder aux stérilisations, dans un premier temps des sangliers*. L’autorisation a été obtenue, sous condition de stériliser mâles et femelles, ce que l’association a réalisé avec succès entre novembre et décembre 2021.
Pendant que tous nos efforts étaient concentrés à réussir la première opération d’ampleur de stérilisation de sangliers sauvages en France, une petite partie de la clôture de Valfanjouse s’affaisse sous le poids de la neige. Sans pouvoir l’affirmer, il est très probable que certains cervidés se soient échappés à cette occasion puisque des individus au comportement semi-domestiqués ont récemment été observés.
Malgré les efforts de l’équipe de l’ASPAS, les échappés n’ont pas pu être ramenés dans l’enclos. Fin mars 2022, la préfecture de la Drôme a ordonné l’abattage des quelques cervidés échappés. L’ASPAS regrette cette décision mais en prend acte, et s’emploie désormais à tout faire pour sauver tous les autres animaux encore présents dans l’enclos. À ce jour, 8 individus sur 13 ont été abattus.
La décision de la préfecture d’ordonner leur abattage est regrettable mais cela pose, plus largement, la question des enclos de chasse. Alors qu’une proposition de loi pour limiter l’engrillagement des espaces naturels est actuellement en discussion au Sénat, le travail de l’ASPAS constitue un laboratoire d’expérimentation sur les difficultés et les enjeux autour de cette question : comment mettre fin à ces enclos de chasse, véritable aberration écologique aux conséquences désastreuses sur le long terme, tout en veillant au bien-être des animaux ?
Rappelons que les évasions d’animaux importés dans des enclos et dont on ne connaît pas l’origine ni l’état sanitaire sont monnaie fréquente, partout en France, chaque année… D’après les données de l’Office Français de la Biodiversité** de 2018, le cerf sika est présent à l’état sauvage dans 19 départements, dont 9 où il cohabite avec le cerf élaphe, et ce depuis de nombreuses années… Certains gestionnaires de chasse ont même délibérément choisi de maintenir, voire d’augmenter des populations de cerfs sika dans certains territoires !
* La stérilisation des cervidés a quant à elle débuté le 4 avril 2022. Dans le même temps, l’association cherche à déplacer des individus dans des refuges clôturés où les animaux pourront mourir de leur belle mort.
** Office Français de la Biodiversité (OFB), revue Faune Sauvage n°326, premier semestre 2020