Faut-il se méfier du gaz, et plus particulièrement du méthane, qui dort emprisonné dans les glaces au fond des océans ? Quels sont les risques associés à la fonte de ces glaces, appelées hydrates de gaz, observée dans certains points du globe ? Pour le comprendre, 80 scientifiques embarqueront à bord du Pourquoi pas ?, l’un des plus grands navires de la Flotte Océanographique Française, le 16 août prochain dans le cadre de la campagne GHASS 2 pilotée par l’Ifremer. Cap sur la mer Noire dont l’augmentation de la salinité fait fondre les hydrates comme neige au soleil… Dans ce laboratoire de pleine mer, ils étudieront l’évolution de ces glaçons gazeux pour mieux évaluer les risques liés à leur fonte : acidification de l’océan, glissements de terrain en mer – cause potentielle de tsunamis – et augmentation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Un « combustible » involontaire du réchauffement climatique
Dans les sédiments, sous certaines conditions combinant basse température et forte pression, il arrive que de petites molécules de gaz, le plus souvent du méthane, se retrouvent prises au piège d’une cage d’eau, et se transforment en glaçons remplissant tous les interstices entre les particules sédimentaires. Piégés sous forme solide, ses gaz n’atteignent pas la surface des fonds marins.
« Mais si les paramètres de température, de pression et/ou de salinité sont modifiés, la glace fond. Le gaz s’échappe alors sous la forme d’innombrables bulles qui se dispersent dans le sédiment et la colonne d’eau. Ces bulles peuvent potentiellement créer des surpressions importantes à l’origine de glissements sous-marins. Nous savons qu’à l’air libre, un bloc d’hydrate de gaz libère ainsi 164 fois son volume en gaz, illustre Vincent Riboulot, chercheur en géologie à l’Ifremer et chef de la mission GHASS 2 aux côtés des 3 autres co-chefs de mission Ifremer. Ce sont donc d’immenses volumes de méthane qui pourraient être libérés dans l’environnement si les hydrates venaient à fondre en quantité ».
Alors que l’océan joue un rôle crucial de régulateur du climat grâce à sa capacité d’absorption du gaz carbonique (CO2), la fonte des hydrates agit à l’inverse et pourrait contribuer au contraire à ce que l’océan soit à son tour générateur d’émissions de méthane (CH4) dans l’atmosphère. Une crainte à nuancer car s’il génère un effet de serre 25 fois supérieur à celui du CO2, ce gaz ne reste que 10 ans dans l’atmosphère avant de se dissoudre, contre 100 ans pour le CO2.
La mer Noire, haut lieu de la fonte des hydrates dans le monde
Les hydrates ne font pas figure d’exception dans les océans : on les retrouve un peu partout de l’Arctique au Pacifique en passant par l’Atlantique ou l’océan Indien. Mais la mer Noire a ceci d’exceptionnel : elle est l’un des théâtres importants de fonte d’hydrates de gaz dans le monde. Une réalité confirmée par la première campagne océanographique GHASS (2015) : l’observation de déformations liées à des avalanches sous–marines et de bulles de méthane s’échappant des fonds marins avait alors conclu à la déstabilisation de ces hydrates.
« La mer Noire est l’une des mers les plus isolées au monde, explique Vincent Riboulot. Les hydrates s’y sont formés alors qu’elle n’était encore qu’un lac d’eau douce, avant que l’ouverture du détroit de Bosphore ne la relie à la Méditerranée il y a 9000 ans. L’arrivée massive d’eau de mer qui a suivi, a lentement modifié sa température et sa salinité en profondeur. C’est cette combinaison de facteurs renforcés par le changement climatique actuel qui précipite aujourd’hui la fonte de ses hydrates ».
Des enjeux climatiques et géologiques
L’ambition de la mission GHASS 2 est d’analyser la dynamique d’évolution des hydrates pour aboutir in fine à une évaluation plus précise du risque lié à leur fonte, qu’il soit climatique ou géologique. Quelle est la quantité de méthane rejetée dans la mer Noire et l’atmosphère ? Quel est l’impact du gaz sur les propriétés mécaniques du sédiment sous-marin ? Quel est l’impact de la fonte des hydrates de gaz sur la formation des avalanches sous-marines ? Comment évolue la biodiversité dans ses environnements extrêmes ? Autant de questions auxquelles les scientifiques tenteront de répondre en explorant les fonds marins et la colonne d’eau à l’aide de nombreux outils et engins pour localiser les couches d’hydrates, caractériser leur morphologie, leur nature et leur âge, pour imager les chemins de migration des gaz dans les sédiments et les échantillonner dans la colonne d’eau jusqu’à la surface, pour détecter les cicatrices de glissements sous-marins et étudier la biodiversité associé à ces environnements hors du commun.