Le 17 mars 2021, c’est le Jour du dérèglement : la France a émis, en 77 jours, l’intégralité des gaz à effet de serre qu’elle devra émettre en une année en 2050 pour respecter son objectif de neutralité carbone. À partir de maintenant, la France vit donc à crédit du climat. Cette date toujours précoce, malgré le ralentissement des émissions de gaz à effet de serre sous l’effet des mesures sanitaires, montre bien l’ampleur du chemin qu’il reste à parcourir en trente ans pour atteindre la neutralité carbone : en effet, à ce rythme, la neutralité carbone ne pourra être atteinte qu’en 2084, soit avec 34 ans de retard.
Pour obtenir cette date, l’Affaire du Siècle, avec l’appui de Carbone 4, s’est fondée sur les chiffres de la Stratégie nationale bas carbone, feuille de route de la France pour mener le pays à la neutralité carbone en 2050. Pour respecter cet objectif, la France devra, selon la SNBC, émettre au plus 80 mégatonnes de CO2 par an en 2050, soit la capacité annuelle d’absorption du carbone, notamment par les forêts et les sols. Or, en 2021, malgré les mesures restrictives liées à la situation sanitaire, la France devrait tout de même émettre 389 mégatonnes de CO2 équivalent (MtCO2e).
Le Jour du dérèglement arrive cette année douze jours plus tard que l’an dernier car les mesures sanitaires continuent de provoquer un ralentissement voire un arrêt de certains secteurs émetteurs [1]. Il s’agit d’une évolution totalement conjoncturelle, d’une situation subie, et qui ne résulte pas de nouvelles mesures politiques climatiques ambitieuses et durables. En outre, le risque d’effet rebond aussitôt les restrictions levées demeure très important. Ce fut le cas après la crise financière de 2008.
Pour les organisations de l’Affaire du Siècle, « alors que l’État vient d’être condamné pour inaction climatique, il n’a plus de temps à perdre pour prendre enfin des mesures qui permettront à la France de réduire efficacement, et sur la durée, ses émissions de gaz à effet de serre, tout en respectant la justice sociale. Or le projet de loi Climat et résilience n’est pas du tout à la hauteur de l’urgence climatique [2]. Le travail parlementaire des prochaines semaines doit drastiquement en renforcer l’ambition. Le risque d’une opportunité manquée est immense, si aucune mesure d’ampleur n’est prise dans les secteurs des bâtiments, des transports et de l’agriculture, principaux postes d’émissions en France. »
Face à l’insuffisance patente de ce projet de loi, plus de 200 organisations ont appelé à une “marche pour une vraie loi climat” le 28 mars prochain, une preuve de plus que les ONG et les citoyennes et citoyens demandent des actions fortes et concrètes pour le climat.
Méthodologie
Le calcul a été effectué par le cabinet de conseil indépendant Carbone 4, sur demande des organisations formant l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France, et Oxfam France). Une estimation des émissions de 2021 a été réalisée sur la base de la tendance historique des émissions françaises corrigées des variations climatiques jusqu’en 2018 (source : Ministère de la transition écologique), et sur la baisse conjoncturelle des émissions observée en 2020 sous l’effet de la Covid-19 (estimation du MTES : -12% par rapport à 2019). La limite d’émissions annuelles choisie pour la neutralité carbone est celle que l’État lui-même s’est fixée dans la loi et la Stratégie nationale bas carbone : maximum 80 MtCO2e, qui correspond aux capacités prévues d’absorption du carbone en France pendant un an en 2050.Conformément aux règles de calcul des émissions territoriales de la France, ce calcul exclut les émissions liées au transport maritime et aérien ainsi que les émissions dites importées.
1. L’année dernière, toute l’épargne carbone de la France avait déjà été utilisée avant le premier confinement. Le jour du dérèglement arrivant le 5 mars 2020, ce dernier n’a pas reculé sous l’effet de la crise sanitaire, malgré un recul estimé des émissions françaises de 52 MtCO2e par rapport à 2019.
2. Le Conseil national de la transition écologique (26/01), le Conseil économique, social et environnemental (27/01) et le Haut Conseil pour le climat (23/02) ont tous les trois jugé que le projet de loi était insuffisant au regard des objectifs climatiques de la France.