L’Asset Management au secours des clubs français ?

Le football français est en émoi depuis que l’aventure Mediapro, le groupe bénéficiaire des droits TV, s’est achevée sans avoir véritablement commencé. Plus que jamais, la situation est dans une impasse depuis que Maxime Saada, le président du directoire du groupe Canal+, qui devait reprendre les droits, a déclaré publiquement que le produit Ligue 1 s’était « dégradé dans l’absolu », annonçant même qu’il renonçait à ses droits acquis auprès de beIN Sports en attendant un nouvel appel d’offres dores et déjà annoncé par la Ligue de football professionnel mardi dernier.

Face à cette situation, peu de clubs français envisagent leur futur proche avec sérénité. Pourtant, il en est un, qui, en ayant consenti un lourd investissement financier pour acquérir la propriété de son stade, pourrait moins souffrir financièrement du manque à gagner lié à la perte des droits télévisuels. L’Olympique Lyonnais, seul club français détenteur de son stade, dispose d’un avantage concurrentiel certain, à l’heure où les disparités vont être accentuées par la crise économique et sanitaire, puisque l’acquisition de son propre outil de travail lui procure un matelas financier confortable.

Quand l’Asset Management devient l’allié des clubs de football français

Au premier abord, le parallèle entre l’Asset Management et le football n’est pas évident. Pourtant, l’arrivée de fonds d’investissements et autres investisseurs institutionnels dédiés aux opérations immobilières, et la liquidité qui en résulte coïncide avec une nouvelle réflexion au sein de la littérature immobilière. Appliquée aux équipes de football, la détention de son propre stade, résulte d’une réflexion globale visant à s’approprier différentes sources de revenus dans l’objectif de s’affirmer financièrement, et donc sportivement.

A moyen/court terme, le club s’engage à payer un lourd tribut, en faisant face à ses engagements financiers, et en remboursant un emprunt conséquent. Il est déstabilisé financièrement jusqu’à la pleine exploitation de son stade. Mais dans le cas de stades correctement valorisés, et cela constitue l’enjeu majeur de ce business model, ces charges sont contrebalancées par les recettes supplémentaires découlant de l’exploitation de son nouveau stade.

Le constat est alors simple : malgré les difficultés sportives, ou la perte de revenu liée à la baisse du montant des droits TV, un budget conséquent donne la possibilité au club de se renforcer lors des périodes de mercato, afin d’entamer un nouveau cycle.

La métamorphose des équipes de football en entreprises du sport-spectacle

Les stades sont érigés aujourd’hui comme des bijoux architecturaux, bénéficiant des dernières technologies de pointe, avec pour objectif assumé d’optimiser l’expérience client. Leur pérennité passe par des enceintes multifonctionnelles et modulaires, valorisées par un Asset Management qui tend vers l’optimisation des revenus tout au long de l’année.

Cette diversification passe par la mise en valeur du rôle du spectateur. Autrefois en retrait, cantonné à un rôle passif dans le développement du club, le supporter a acquis, avec l’émergence d’infrastructures dernières générations, un rôle indéniable dans les performances économiques de leurs équipes respectives.Présentée comme telle, l’exploitation commerciale d’une enceinte sportive s’apparente grandement au modèle économique adopté par les complexes cinématographiques. Tout comme ces derniers, la marge, qui permet au stade d’être rentable économiquement, est accrue par les activités annexes, que sont les concerts, la restauration, les produits dérivés et autres.

Les outils de la diversification

  • Le recours au « Naming » : cette pratique prend la forme d’un contrat de sponsoring qui permet à une marque d’apposer son nom sur le stade, en échange d’une redevance annuelle.
  • La modularité : la capacité à passer de la configuration d’un stade de football à la configuration d’une salle de concert en un temps limité, afin de favoriser une exploitation en continuité.
  • Pour séduire la classe supérieure aisée, les gestionnaires de stade ont multiplié les espaces privatifs, avec une gamme de prestations et de services variés, destinés principalement au monde des affaires. Preuve de leur attrait, dans certains stades, 80% des recettes proviennent de 20% des sièges commercialisés aux tarifs les plus élevés du stade.
  • Les services de restauration montent en gamme, et s’affirment en tant que centre de profit à part entière.
  • L’omniprésence du numérique : le billet dématérialisé permet à l’exploitant d’optimiser le remplissage du stade, facilitant la planification financière, qui se traduit concrètement par un effet de trésorerie.
  • Le data management, qui consiste à récupérer des données lors du processus de vente du billet, permet à l’exploitant d’affiner ses connaissances sur sa clientèle, et de personnaliser sa relation avec le spectateur. De l’analyse approfondie de ses données découle une politique de flexibilité tarifaire, qui consiste à adapter l’offre et la demande en temps réel.


L’exemple Français

L’Olympique Lyonnais est le seul club Français ayant bousculé sa structure financière dans le but de devenir propriétaire de son stade. Un pari fou ? L’argumentaire est pourtant simple : hormis le Paris Saint-Germain, tous les clubs qui composent le Top 20 Européen sont propriétaires de leur stade et seuls bénéficiaires de l’exploitation commerciale de ces derniers. Ces revenus complémentaires offrent une marge financière additionnelle, et un avantage compétitif certain sur les clubs locataires.

Après une introduction en bourse réussie en février 2009, permettant à l’OL Groupe de bénéficier d’une liquidité supplémentaire non négligeable, le club a conçu son nouveau stade comme un véritable projet d’aménagement urbain du Sud-Est de la banlieue de Lyon, avec des complexes hôteliers, des immeubles de bureaux, ainsi que des espaces de loisirs. L’objectif étant de créer de la vie autour du Groupama Stadium tous les jours de l’année, et maximiser ainsi les revenus du club.
Résultats :

  • Le chiffre d’affaires a presque doublé de l’année 2012 à l’année 2019, passant de 156,1 M€ à 309 M€. Or, le Groupe se considère encore loin de la pleine exploitation commerciale du complexe, ayant émis le souhait d’atteindre 400 M€ de chiffre d’affaires à l’horizon 2024.
  • Les recettes de billetteries ont ainsi augmenté de 222% entre 2014 et 2019. Logiquement, l’affluence moyenne a également été positivement impactée, de 34.414 spectateurs en moyenne par match en 2014 à 49.079 sur la saison 2018-2019.
  • La gamme tarifaire a été élargie, avec un nombre important de places VIP (6 000), soit 10% des sièges, tout en restant accessible aux classes les plus modestes. Le revenu moyen par siège a presque triplé, passant de 16€ en 2014-2015, à 44€ en 2016-2017.
  • La premiumisation des tribunes a permis d’attirer de nombreuses entreprises avides de loges VIP, ainsi que de nouveaux sponsors (Hyundai, puis Fly Emirates).
  • La multifonctionnalité de l’enceinte lui permet d’être opérationnelle 365 jours dans l’année, afin d’accueillir des concerts de stars à la renommée internationale, des matchs d’envergure dans d’autres sports, ainsi que des conventions et autres séminaires professionnels.
  • Dans le compte de résultat du Groupe, la part des droits audiovisuels a foncièrement baissé entre 2012 et 2019, de 46% à 39%.

Conséquences de la crise sanitaire, l’OL Groupe ne peut que constater des pertes considérables, puisque son business model repose sur une gestion réussie de son propre stade, – et qu’il ne peut plus jouir des revenus liés à la billetterie et à l’évènementiel valorisant ses pertes autour de 100 M€ –, Cependant, grâce à des résultats d’exploitation en hausse depuis son arrivée dans le stade, ce club a été bénéficiaire sur les 3 dernières années, ce qui lui permet d’aborder l’avenir plus sereinement que d’autres clubs français. L’entrée en vigueur, pour la saison 2020-2021, du nouveau contrat de diffusion avec Mediapro et beIN Sports devait en effet combler le retard accusé par le championnat français sur ses semblables européens. Ce contrat prévoyait la répartition de 1,173 milliards d’euros par saison, soit près de 60% supplémentaire par rapport au contrat précédent. Pourtant, dans un contexte rendu incertain par la crise du coronavirus, l’avenir semble s’obscurcir davantage pour les clubs trop dépendants financièrement des droits TV. Plusieurs clubs suivent cependant la voie engagée par l’Olympique Lyonnais, c’est le cas de Montpellier HSC et Nîmes Olympiques qui projettent déjà des opérations immobilières conjuguant stade, logements, hôtel, commerces et bureaux.   Ce texte est issu d’une étude universitaire dirigée par Arnaud Romanet-Perroux, professeur de finance immobilière à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, l’ESTP Paris, l’ESCP et l’ICH et fondateur de la plateforme de crowdfunding immobilier Upstone et réalisée par Hugo Arzel, étudiant à l’ESCP Europe.

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