Le COVID-19 nous a donné rendez-vous avec l’essentiel. Plusieurs semaines de confinement nous ont fait renoncer à bien des agréments de notre existence. Au revoir sorties, voyages, restaurants… Nous entrevoyons désormais qu’un autre mode de vie est possible dans lequel nous consommerions moins, mais mieux, participant ainsi à la préservation des ressources.
Une tendance commençait à émerger avant le coronavirus. Certains de ses adeptes ont la réputation d’avoir fait le choix de partir à la retraite avant 40 ans. Au-delà de ce « plan de carrière », la pensée frugaliste prend sa source d’un autre constat : le consumérisme ne rend pas les gens heureux. [1]
Elle propose donc d’inverser le raisonnement habituel. La question n’est plus de savoir ce que l’on peut se payer avec ce que l’on gagne. Mais au contraire, de se demander : de combien ai-je besoin pour vivre comme je le souhaite ?Une fois que les frugalistes ont identifié ce qui est important pour eux, ils peuvent s’y consacrer en exclusivité. Leur objectif est désormais de construire leur indépendance financière : grâce à des revenus passifs procurés par des investissements boursiers, immobiliers, ou par des side business qu’ils ont créés.
Dans le contexte des retraites, le concept fait florès. Pour certains, il permet de partir plus tôt ; pour d’autres, de s’écarter du système de financement, dont ils doutent de la fiabilité à long terme. Selon les aspirations plus ou moins hédonistes des uns et des autres, le FIRE (Financial independance & retire early) produit des ramifications multiples, mais toutes se rejoignent sur le principe et la méthode.
Pour atteindre son FIRE, le principe fondamental est de se demander : quelles sont les dix choses les plus essentielles pour soi ? Ceci conduit à se poser un certain nombre de questions qui prennent une acuité particulière en ces temps de confinement : ai-je vraiment besoin d’habiter au centre de Paris, de conserver une voiture (qu’au demeurant, je n’utilise pas ou peu) ? Etc. Puis, il faut s’interroger sur ses vœux les plus chers : quelle est ma vie rêvée à 45/50 ans ? Est-ce de m’installer à l’autre bout du monde, d’avoir deux ou trois enfants ? Etc.
Une fois ces éléments identifiés, des modèles financiers permettent de calculer ce qu’il faut comme revenus passifs pour atteindre ces objectifs. Il s’agit de raisonner comme un entrepreneur face à son business plan. En calculant le montant de ses dépenses annuelles, il est possible de déterminer la somme dont il faut disposer pour devenir indépendant financièrement. En l’occurrence, il faut respecter la règle des 4%. Elle induit qu’il faut disposer au minimum de 25 fois le montant de ses dépenses annuelles pour pouvoir sortir du salariat. En d’autres termes, il faut construire son patrimoine afin de produire une rente annuelle.
Cependant, l’effondrement de la Bourse, lié à la crise du COVID-19, a provoqué une prise de conscience chez les FIRE du monde entier. Ils se sont rendu compte de leur vulnérabilité au système financier mondial. Leur modèle ne fonctionne plus en cas de krach. Les frugalistes perdent tout ou partie de leurs revenus passifs et les dépenses courantes ne sont plus compensées. Leur système ne fonctionnait qu’à la condition que les autres consomment ! Alors, est-ce la faille dans le système, et la fin d’une idée utopiste ? Bien au contraire !
Le grand défi de la prochaine génération de frugalistes sera de trouver l’alternative aux marchés boursiers. D’autres solutions se révéleront-elles plus résilientes en temps de crise, tout en étant, sur la durée, respectueuses des aspirations sociales et environnementales des individus ?
Par exemple avec le crowdfunding immobilier, il est possible d’associer un investissement dans un projet immobilier, à vocation sociale, à une forte rentabilité. Le crowdfunding verse un rendement annuel proche de 10% pour des projets de logements neufs (sociaux ou non) dont la crise actuelle nous rappelle la nécessité de construire. Sans compter que cette catégorie de crowdfunding présente une résilience accrue face à la crise, l’arrêt abrupt des chantiers fait peser un risque de retard sur la plupart des opérations en cours, mais cela ne signifie pas nécessairement une baisse du rendement pour les investisseurs privés.[2]
Mais il faudra encore de longs efforts de pédagogie pour que l’idée s’ancre dans tous les esprits. La tentation semble forte de recommencer comme avant pour sortir plus vite de la crise. La plongée de la consommation, partout dans le monde, fait redouter chez les économistes, une récession, voire une dépression – 42 % des Français ont déjà réduit leur consommation et les achats d’impulsion sont en chute libre –.Alors demain, tous frugalistes ?
[1] La première théorisation du frugalisme apparaît en 1992 dans l’ouvrage « Your Money or Your Life » de Vicki Robin et Joe Dominguez. En 2010, Jacob Lund Fisker popularisme l’acronyme FIRE, dans son ouvrage « Early retirement Extreme ». Au cours de la période, des chercheurs proposent une modélisation « mathématique » du projet, tandis que Peter Jonathan Adeney avec son blog Mr. Money Mustache, ouvre la notion au grand public.
[2] Les investisseurs privés pourraient, au contraire, dans la majorité des cas, percevoir des intérêts plus élevés que prévu (puisque la durée des emprunts peut être prolongée en cas de retard au détriment des marges des opérateurs). Sauf, si le promoteur n’est plus en capacité de rembourser, dans ce cas, le retard peut se transformer en défaut de paiement.