S’abritant derrière la crise sanitaire, les industriels ont multiplié les attaques contre les régulations sociales et environnementales et joué de leur proximité avec les décideurs et de l’urgence pour capter des aides publiques sans véritable contrepartie. Aggravés pendant la crise actuelle, l’absence de transparence et l’accès privilégié dont bénéficie le secteur privé contaminent notre démocratie, et le déconfinement ne suffira pas à y mettre fin. C‘est ce que révèle le rapport publié aujourd‘hui par les Amis de la Terre France et l’Observatoire des multinationales.
Le confinement n’a pas interrompu les activités de lobbying, bien au contraire. Le rapport « Lobbying : l’épidémie cachée » (1) montre comment, alors que la situation sanitaire attirait toute l’attention, les industriels et leur lobbys ont lancé une grande offensive auprès des pouvoirs publics avec un double objectif.
D’un côté, ils ont renouvelé leurs attaques contre les régulations qui leur déplaisent. Plastique, pesticides, fiscalité, réduction des émissions de gaz à effet de serre : ils n’ont souvent fait que recycler cyniquement de vieilles demandes.
De l’autre, les grandes entreprises ont cherché à capter la plus grande partie des aides publiques mobilisées par le gouvernement, et à orienter le contenu des plans de relance, en échappant à toute contrepartie véritablement contraignante, que ce soit en matière climatique, sociale ou de dividendes. Renault et Air France ont bénéficié d’une aide de plusieurs milliards d’euros, et un fonds de 20 milliards d’euros a été mis à la discrétion de Bercy pour sauver des entreprises « stratégiques », qui a été utilisé pour aider la firme parapétrolière Vallourec dont les difficultés dataient de bien avant la crise (2).
Selon Juliette Renaud, responsable de campagne sur la Régulation des multinationales aux Amis de la Terre France, « en public, les multinationales se sont taillées une image « verte« et généreuse, faisant mine de prendre la mesure de la crise, tout en vantant les mérites de l‘autorégulation. Mais par derrière, elles se sont empressées d‘activer leurs lobbies ! Ils ont instrumentalisé la pandémie afin de démanteler les normes sociales et environnementales, et se tailler la part du lion dans la nouvelle manne d‘aides publiques, sans aucune contrepartie. En ce sens, le « coronawashing« est également une forme de lobbying« .
Au nom de l’urgence, des décisions cruciales pour le « monde d’après » sont prises, souvent en quelques jours seulement, en toute opacité, dans le cadre d’un tête-à-tête entre gouvernement et industriels. La crise met en lumière les profondes limitations des dispositifs de transparence et d’encadrement du lobbying et des conflits d’intérêts en France. Les voix des syndicats, de la société civile et même des parlementaires sont plus marginalisées que jamais.
« Avec la crise économique, les décisions gouvernementales et la dépense publique resteront un enjeu central pour les industriels, estime Olivier Petitjean de l’Observatoire des multinationales. Ils continueront à capitaliser sur leur proximité avec les décideurs. Il est indispensable de renforcer la transparence et le débat démocratique pour ne pas les laisser dessiner seuls les contours du monde d’après. »
Les Amis de la Terre France et l’Observatoire des multinationales font des recommandations concrètes pour répondre à ces enjeux démocratiques : mise en place d’un dispositif effectif de transparence, d’un observatoire indépendant de la réponse à la crise, et de conditionnalités pour les aides publiques.
(1) Le rapport « Lobbying : l’épidémie cachée » est disponible ici : https://www.amisdelaterre.org/wp-content/uploads/2020/06/lobbying-epidemie-cachee-at-odm-juin2020.pdf
(2) Ces 20 milliards d’euros ont été approuvés dans le projet de loi de finances rectificative, en avril. Voir : https://www.lefigaro.fr/flash-eco/budget-pas-un-cheque-en-blanc-pour-les-grandes-entreprises-polluantes-20200418