Plus de 500 mouvements en Europe
« Depuis le référendum de juin 2016, 530 projets de relocalisation ou d’expansion ont été enregistrés en Europe. Leur nombre aurait même pu être plus élevé si le flou politique n’avait pas favorisé l’attentisme des entreprises en 2019 » annonce David Bourla, Directeur Etudes et Recherche chez Knight Frank France. 162 mouvements d’entreprises certains ou potentiels ont en effet été recensés l’an passé, soit une baisse de près de 30 % par rapport à 2018. L’incertitude est encore loin d’être levée, les pourparlers relatifs à un accord de libre-échange entre Londres et Bruxelles venant en effet tout juste de débuter. Toutefois, l’officialisation du Brexit et la tension entourant le début des négociations pourraient se traduire par un regain du nombre de nouveaux mouvements et, surtout, par la concrétisation de projets déjà initiés par les entreprises pour assurer leur accès au marché commun. Cette tendance semble se confirmer, avec un rythme déjà élevé de projets dénombrés depuis le début de 2020 (près de 30).
La Fintech en plein essor
La convergence des régulations britanniques et européennes est au cœur des négociations entre Londres et Bruxelles. Le sujet est particulièrement sensible pour les entreprises de la finance. Celles-ci concentrent, sans surprise, la plus grande part des mouvements liés au Brexit en Europe, soit 64 % des 530 projets certains ou potentiels recensés depuis 2016. La banque et les sociétés de gestion d’actifs restent les activités dominantes. « Plus jeune et en plein essor, le secteur des Fintech est également bien représenté, avec près de 80 mouvements d’entreprises soucieuses d’obtenir ces précieuses licences leur permettant de poursuivre leur activité au sein de l’UE, et de continuer à attirer et retenir les meilleurs talents internationaux » explique David Bourla. Leur choix d’implantation se porte prioritairement sur Dublin (23 % de l’ensemble des mouvements de Fintech liés au Brexit en Europe), devant Paris (15 %), Luxembourg (14 %), Amsterdam (13 %) et Vilnius (10 %).
Les derniers mois ont également confirmé la hausse du nombre de projets recensés hors du secteur de la finance, illustrant l’impact plus général du Brexit sur l’économie. C’est le cas bien sûr des assurances (12 % de l’ensemble des mouvements en Europe) et des professions juridiques (6 %). Dans une moindre mesure, c’est aussi celui de l’industrie pharmaceutique, dont les mouvements ont surtout ciblé les Pays-Bas en raison du déménagement à Amsterdam de l’Agence Européenne des Médicaments (EMA), de l’audiovisuel ou encore des ONG, dont plusieurs ont relocalisé leurs équipes à La Haye, place importante du droit international.
Paris double Luxembourg
Dublin reste solidement installée à la première place des métropoles ayant attiré le plus de mouvements liés au Brexit depuis 2016, devant un quatuor formé de Paris, Luxembourg, Amsterdam et Francfort. Deux villes se distinguent par leur attractivité croissante : Amsterdam, qui a bâti son succès sur sa capacité à attirer les entreprises de profils variés, et surtout Paris. « Avec 82 mouvements certains ou potentiels recensés depuis 2016, Paris dépasse Luxembourg et se hisse donc au deuxième rang derrière Dublin. Cette progression est révélatrice de l’amélioration de l’image de la France, confirmant, plus généralement, que les efforts menés pour restaurer l’attractivité de l’Hexagone portent leurs fruits » explique David Bourla.
Si les activités bancaires et d’asset management représentent encore la majorité des mouvements liés au
Brexit à Paris (30 % et 20 % respectivement), la hausse de la part des Fintech est l’une des évolutions les plus marquantes des douze derniers mois. Peu représentées jusqu’à la fin de 2018, celles-ci comptent désormais pour 15 % du nombre total de projets de relocalisation enregistrés dans la capitale française. Elles pourraient voir leur part encore augmenter du fait du potentiel de croissance élevé du secteur et de la politique volontariste menée pour promouvoir l’écosystème de la French Tech.
« Sur les 82 mouvements liés au Brexit recensés depuis 2016 en Ile-de-France, les deux tiers sont d’ores et déjà effectifs pour des gains estimés à près de 1 500 emplois. Les mouvements potentiels et non encore réalisés représenteraient 1 800 à 2 000 postes supplémentaires, soit environ 3 500 postes pour la totalité des gains d’emplois liés au Brexit » détaille David Bourla. Ce chiffre pourrait être revu à la hausse dans les prochains mois, mais restera néanmoins assez modeste par rapport au poids économique de l’Ile-de-France. De fait, la très grande majorité des projets liés au Brexit ne portent que sur un nombre relativement faible d’employés, 69 % des mouvements recensés ne concernant pas plus d’une trentaine de collaborateurs. En outre, une dizaine seulement concernent plus de 100 collaborateurs.
Intérêt quasi exclusif pour le QCA
Parmi les projets susceptibles de créer le plus d’emplois, plusieurs sont le fait d’entreprises déjà présentes en Ile-de-France et disposant de surfaces de bureaux assez vastes pour y loger de nouveaux salariés. Par ailleurs, si le Brexit s’est bien traduit par plusieurs prises à bail de bureaux destinées à loger les employés relocalisés, le surcroît d’activité restera limité à l’échelle du marché francilien. « Toutes tranches d’effectifs confondues, les prises à bail liées au Brexit représentent moins de 60 000 m² de bureaux en Ile-de-France, dont un peu moins de la moitié ont d’ores et déjà été consommés » indique David Bourla. Sans surprise, Paris concentre la plus grande part de ces volumes placés, avec un engouement tout particulier pour le quartier central des affaires (QCA). Parmi les mouvements les plus récents, JP Morgan a annoncé l’acquisition de 6 600 m² de bureaux près de la place Vendôme, qui constitue ainsi la deuxième plus grosse transaction liée au Brexit à Paris depuis 2016 après la location par Bank of America de près de 10 000 m² au 49-51 rue La Boétie. Ces mouvements n’expliquent pas à eux seuls la hausse des valeurs prime constatée à Paris : celle-ci est la conséquence d’un dynamisme plus général de la demande des utilisateurs, dans divers secteurs d’activité comme le conseil, le coworking ou les nouvelles technologies. Ils ajoutent néanmoins à la tension d’un marché du QCA en situation de forte pénurie, puisqu’à peine 92 500 m² de bureaux y étaient disponibles à la fin de 2019 soit un taux de vacance de 1,4 %.
Les marchés situés hors du QCA ne concentrent que 16 % des mouvements liés au Brexit en Ile-de-France. Le profil des entreprises y est en général plus varié, mêlant avocats, assureurs, grands groupes industriels et Fintech. Ces utilisateurs ont ciblé quelques quartiers parisiens de l’Ouest et de la Rive gauche et, hors de Paris, Neuilly et surtout La Défense. Dans le quartier d’affaires, les mouvements liés au Brexit sont, à l’exception de l’Autorité bancaire européenne (EBA), essentiellement endogènes, à l’exemple du rapatriement par Total de la gestion de sa trésorerie, précédemment installée à Londres. Les prochains mois diront si La Défense a pu attirer de nouvelles entreprises grâce à l’afflux à venir, sur son territoire, de surfaces de bureaux qualitatives alors même que l’offre est de plus en plus restreinte et coûteuse dans Paris intra-muros. « Le QCA devrait néanmoins rester la cible quasi exclusive des mouvements liés au Brexit : les entreprises du conseil et de la finance internationale sont traditionnellement captives d’une adresse dans les plus beaux quartiers de la capitale et ont, de ce fait, moins de réticence à y payer des loyers élevés » conclut David Bourla.