Des villes du nord du pays ont suivi, telles Boulogne-sur-Mer ou Calais. Marseille l’envisage sérieusement pour le quartier de Noailles, théâtre du terrible événement qui a ému la France entière. Bobigny y songe également. A première vue, on est tenté de saluer la volonté des élus d’éradiquer le comportement scandaleux des profiteurs du logement que Julien Denormandie assimile à des criminels au même titre que les dealers. Le législateur a d’ailleurs renforcé l’arsenal pénal à leur encontre. Seulement voilà: le permis de louer a deux défauts majeurs, celui de manquer sa cible et d’en discriminer une autre avec une inacceptable injustice.
Le permis de louer manque sa cible première : le marchand de sommeil
Il passe d’abord à côté de ceux qu’il met en joue. Quel marchand de sommeil, ou seulement quel propriétaire peu scrupuleux sur la qualité technique du bien qu’il loue et le respect des obligations risquera de s’exposer à un contrôle administratif en déclarant son logement ? On pourrait arguer que l’absence de déclaration là où elle est exigée constitue une infraction, passible d’une amende et que l’attention des services municipaux sera attirée sur la situation. C’est pourtant oublier que les mairies n’ont pour la plupart pas les moyens de leur politique, comme déploré d’emblée par l’association des maires d’Ile-de-France : inspecter le parc locatif nécessite des ressources humaines importantes et formées. En clair, ce permis de louer ressemble à une bonne conscience plus qu’à une mesure efficace et réaliste. Si sa faiblesse n’était que là, ce ne serait pas grave. On serait même fondé à lui trouver encore la vertu de dissuader a priori, dès lors qu’il fait apparaître la volonté des pouvoirs publics de ne plus accepter cette honte dans nos villes.
Le permis de louer stigmatise honnêtes bailleurs et professionnels déjà dotés d’une obligation de vérification des logements
Le problème est que les bailleurs dignes de ce nom, qui ont à souci d’entretenir le logement qu’ils proposent à la location, de le mettre aux normes de toutes sortes qui s’imposent à lui, bien au-delà de l’impératif de décence, ressentent cette contrainte de plus avec écœurement. Ils l’éprouvent d’autant plus qu’ils savent que les coupables s’exonèreront à non-compte de la déclaration administrative et de l’obtention du permis. Ils n’y voient pas une atteinte à la liberté de disposer de leur bien parce qu’ils ont conscience de la gravité de l’enjeu et se savent hors de cause, mais ils identifient une tracasserie de plus. L’absurde atteint des sommets lorsque les agents immobiliers et les administrateurs de biens, mandataires des propriétaires pour louer et gérer, sont eux-mêmes obligés de procéder à cette déclaration et assujettis au permis de louer alors que leur règlementation les oblige déjà à ne louer que des biens décents, correspondants aux normes en vigueur et en outre présentant des caractéristiques de confort et des prestations justifiant le loyer qui est demandé.
Une politique incohérente envers les professionnels de l’immobilier
Pour le coup, il n’est plus question de rater la cible et d’en atteindre une mauvaise, mais de sombrer dans le ridicule de la tautologie administrative : les professionnels de l’immobilier, garants du respect des règles, doivent solliciter l’autorisation de faire leur métier selon les règles. C’est le signe d’une dérive administrative condamnable et insupportable à l’heure où le Président de la République veut libérer les énergies. A l’heure aussi où son Premier ministre a confié au député, Mickaël Nogal, la mission de réfléchir aux voies et moyens d’accentuer le taux de pénétration des professionnels dans le domaine de la location et de la gestion locative, se peut-il que la suspicion envers les agents immobiliers et les gestionnaires inspire les décisions publiques ? Il est urgent de remettre de la cohérence dans tout cela.