Bilan 2018 & Perspectives 2019 du marché immobilier des commerces en France

Le pire n’est jamais sûr…

2018 a fini sur une note négative. Le mouvement des gilets jaunes, ses débordements et leurs effets sur les commerces ont amplifié le ralentissement de l’économie française, ternissant ainsi le bilan de l’année écoulée. « En 2019, la baisse attendue de l’inflation et les mesures de soutien au pouvoir d’achat suggèrent que la consommation pourrait accélérer. Toutefois, l’évolution du climat social restera un facteur clé, alors que la confiance des ménages s’est fortement détériorée pour atteindre son niveau le plus bas depuis novembre 2014 » indique Antoine Grignon, directeur du département Commerces chez Knight Frank France. L’évolution des dépenses des touristes n’est guère plus facile à prévoir. Moins présents en 2016 dans l’Hexagone, les visiteurs étrangers y étaient revenus en masse en 2017. Ce fut encore le cas durant une bonne partie de 2018, avant que le mouvement des gilets jaunes n’enraye une belle dynamique qui, avant cela, laissait espérer un record de fréquentation. Aux soubresauts de l’actualité française s’ajoute la montée des risques à l’échelle mondiale (Brexit, montée des populismes, etc.), également susceptible en 2019 de peser sur l’activité. Cela dit, la tendance de long terme reste positive, et Paris devrait, comme les autres grandes destinations de la planète, continuer à profiter de l’essor du tourisme international.

Luxe : net rebond des ouvertures

Ce dernier point est essentiel pour les grands magasins et les enseignes de luxe, dont les performances dépendent très largement de la clientèle étrangère et qui, malgré une fin d’année chahutée, restent plutôt dynamiques. 48 ouvertures de boutiques de luxe ont ainsi été recensées en 2018 à Paris contre 26 en 2017. Initiés de longue date, quelques projets d’envergure, révélateurs de la façon dont les marques les plus prestigieuses exploitent leur patrimoine immatériel comme facteur de distinction, ont été inaugurés : Boucheron a rénové son écrin de la place Vendôme et Chanel a ouvert un navire amiral à deux pas de son adresse historique de la rue Cambon. Parmi les projets emblématiques attendus en 2019 figurent celui de Saint Laurent en lieu et place du concept-store Colette et celui du joaillier Graff, tous deux situés rue Saint-Honoré. « Cette artère, où ouvriront également Buccellati et Balmain et qui est l’une des rares à avoir vu ses valeurs locatives augmenter l’an passé, ne cesse de progresser dans la hiérarchie du luxe parisien : elle compte pour 30 % des ouvertures de boutiques de luxe réalisées ou projetées sur la période 2018-2019 à Paris contre 20 % entre 2012 et 2017 » note Antoine Salmon, Directeur du département Commerces locatif de Knight Frank. Le luxe s’illustre aussi sur les Champs-Elysées, où LVMH a renforcé ses positions avec l’arrivée de Bulgari au n°136 et l’ouverture prochaine d’un flagship Dior au n°127.

Si la montée en gamme des Champs-Elysées devrait se poursuivre, les enseignes les plus exclusives ne constituent pas pour autant l’essentiel des projets recensés. Actuellement en plein renouvellement, l’avenue conserve en effet un positionnement assez mixte et une diversité d’enseignes susceptibles de séduire la grande masse des visiteurs français et étrangers. Dans le secteur du sport, l’actualité de 2019 sera dominée par la réouverture des deux flagships agrandis de Nike et Adidas sur une surface respective de plus de 5 000 m² ! Signe des temps, les produits High-Tech confirment aussi leur percée sur l’avenue : en novembre dernier, Apple y a rejoint son concurrent Samsung avec l’ouverture d’un de ses flagships les plus spectaculaires au monde. Xiaomi a également ouvert, sur un format toutefois plus modeste. C’est dans un autre quartier, celui de l’Opéra, qu’une autre marque chinoise installera son futur flagship, Huawei ayant récemment pris à bail une surface de près de 900 m² sur le boulevard des Capucines.

La mode, entre expansion et repositionnement

Notons que la fast-fashion ne domine plus l’actualité des Champs-Elysées, qui avait été rythmée ces vingt dernières années par les ouvertures successives des flagships Gap, Esprit, H&M, Zara, Banana Republic ou Abercrombie & Fitch. Le fait n’a rien d’anodin à l’heure où les enseignes de mode traditionnelles, bousculées par le boom des ventes en ligne et la concurrence d’autres types de biens, traversent de fortes turbulences. Poursuivant ponctuellement leur expansion (Uniqlo à Rennes et bientôt Nantes, Primark à Toulouse, etc.), c’est plutôt aux opérations de rationalisation que ces enseignes consacrent désormais leur stratégie. Elles créent ainsi des boutiques spectaculaires et offrant toujours plus de services, tout en sacrifiant en contrepartie des points de vente non stratégiques. « D’ici la fin de 2019 et en à peine trois ans, H&M et Zara pourraient ainsi avoir fermé près d’un quart de leurs magasins de Paris intra-muros » précise Antoine Salmon. Le groupe Suédois concentre ses efforts sur d’autres marques du groupe (Monki, & Other Stories, Weekday, Arket, H&M Home) et sur son flagship du 1-3 rue Lafayette, auquel près de 3 000 m² ont été ajoutés en 2018. Les mouvements opérés par Zara sont tout aussi significatifs : après avoir rénové et étendu son navire amiral de la place de l’Opéra, l’enseigne espagnole a récemment fermé son emplacement de la rue Saint-Honoré, repris par Balmain et celui du boulevard Haussmann, repris par Adidas. Zara a rouvert en décembre sur le trottoir d’en face, sur une surface deux fois plus grande permettant à l’enseigne de déployer ses dernières innovations technologiques pour une expérience client « sans couture » entre canaux online et offline.

Le consommateur au centre du jeu

Si le digital étend son emprise sur nos vies et nos modes d’achat, les boutiques restent en effet des éléments déterminants de la réussite d’une enseigne. Cette certitude s’est encore appuyée en 2018 sur de nombreux exemples, comme ce flagship ouvert par Zara boulevard Haussmann, ces alliances entre retailers traditionnels et e-commerçants (André et Spartoo, Monoprix et Sarenza, etc.), ou ces boutiques ouvertes par des marques nées sur le web. Le phénomène n’est certes pas nouveau mais il prend de l’ampleur. Ainsi, Tediber a récemment ouvert son premier magasin rue Sainte-Croix de la Bretonnerie tandis que Miliboo installera bientôt son flagship boulevard de la Madeleine, fournissant ainsi deux exemples récents de la percée des DNVB (Digital Native Vertical Brands). Si ces trublions de la distribution animent de plus en plus le marché immobilier des commerces, leur succès sert également à souligner que la révolution du commerce n’est pas qu’affaire de prouesse technologique ; elle est aussi la manifestation de relations plus étroites et plus directes avec le consommateur.

Nombre de marques plus « classiques » ont également intégré cette dimension, multipliant les boutiques en propre comme autant de points de contact avec la clientèle. Après The North Face ou Fusalp, Rossignol et Salomon ont par exemple ouvert en 2018 leur première boutique à Paris (boulevard Saint-Germain et des Capucines). D’autres feront bientôt de même, car ces magasins, venant en soutien de la communication digitale des marques, leur permettent de mieux maîtriser leur image. Lieux de conseil et d’expérimentation, ils offrent aussi aux marques l’opportunité de parfaire la connaissance de leur clientèle, qu’elles peuvent ainsi fidéliser par une offre de produits et de services taillés sur mesure.

Les acteurs plus traditionnels ont également continué d’adapter leur offre aux bouleversements des modes de vie et de consommation. Ainsi, le Groupe Casino a mené un certain nombre de tests sur ses formats de proximité à l’exemple du « 4 », récemment ouvert avenue Franklin Roosevelt. Par ailleurs, Décathlon a « transformé l’essai » en accélérant en 2018 la diffusion de son concept de proximité Décathlon City à Paris (boulevard Saint-Germain, Batignolles) ou Lyon (rue du Président Carnot). Enfin, IKEA, à l’origine de la plus grande transaction locative de l’an passé, ouvrira au printemps 2019, sur 5 400 m² de surface de vente, un premier concept imaginé spécifiquement pour les Parisiens.

Vers une plus grande mixité des usages

La transformation des modes de vie suppose aussi l’émergence de nouvelles aspirations, qui ne sont pas sans influence sur les comportements d’achat. Les Français auraient ainsi tendance à acheter moins mais mieux, et à privilégier les biens ou activités porteurs selon eux de plus de sens. Ces arbitrages profitent notamment aux secteurs qui ont trait au « bien-être » dans son acception la plus large (produits de soin du corps, sport, loisirs). L’alimentation et la restauration ont également le vent en poupe, un mouvement particulièrement perceptible dans les grandes métropoles où éclosent concepts haut de gamme de chefs étoilés, pôles de restauration et food halls. Après les inaugurations de « Beaupassage » à Paris et de la « Halle Boca » à Bordeaux en 2018, d’autres projets sont attendus en Ile-de-France (« Food Society » au sein des « Ateliers Gaité » dans le 14e, « Table Square » à La Défense, etc.) et en régions (anciennes halles Alstom à Nantes, la « Cartoucherie » à Toulouse, « Heat » ou « Food Traboule » à Lyon, Gare du Sud à Nice, etc.) : autant de destinations gourmandes et festives censées animer quartiers, espaces commerciaux et lieux de transit, et parfois contribuer à leur succès.

D’autres activités, parfois décorrélées de l’acte d’achat, jouent également un rôle plus important dans le développement de nouveaux projets, des plus classiques (salles de sport, loisirs, hôtellerie, etc.) aux plus inédites, à l’exemple de ces espaces de coworking ou de coliving intégrés aux opérations d’extension du centre Italie 2 à Paris (« Italik ») et de restructuration de l’ancien bâtiment des Galeries Lafayette de la rue Saint-Ferréol à Marseille. Cette plus grande mixité des usages consacre l’émergence de nouveaux types d’espaces, censés correspondre davantage aux aspirations des consommateurs mais aussi remédier parfois à l’essoufflement des formats de distribution traditionnels. De plus en plus de bailleurs et de promoteurs tendent ainsi à intégrer de nouvelles fonctions au sein de leurs projets ou de leur patrimoine existant afin d’en assurer le succès ou d’en limiter la vacance.

Investissement : pas si mal

Si la prudence des investisseurs a pesé sur l’activité, le marché français des commerces a tout de même rassemblé un peu plus de 4,4 milliards d’euros en 2018. « En baisse de 14 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années, cette somme est légèrement supérieure à celle de 2017 grâce à un très bon 4e trimestre » annonce Antoine Grignon. Comme lors des mois précédents, les volumes ont été gonflés par quelques opérations d’envergure, parmi lesquelles la cession à Generali et AG2R La Mondiale de deux portefeuilles Monoprix pour plus de 750 millions d’euros. Au total, les 11 transactions supérieures à 100 millions d’euros de 2018 comptent à elles seules pour 55 % des volumes investis sur le marché français des commerces.

Cette tendance a principalement profité aux rues commerçantes. Captant 60 % de l’ensemble des montants engagés sur le marché français des commerces, plus de 2,6 milliards d’euros y ont été investis l’an passé – une somme concentrée à 73 % sur 7 opérations supérieures à 100 millions d’euros. Après le nouvel Apple Store des Champs-Elysées, Hines a par exemple fait l’acquisition du futur flagship Saint Laurent de la rue Saint-Honoré. « Animées par d’autres cessions significatives, comme l’achat par Oxford Properties de la boutique Valentino du 273 rue Saint-Honoré, l’avenue des Champs-Elysées et la rue Saint-Honoré ont représenté 34 % des volumes investis en pied d’immeuble en France en 2018. Elles devraient aussi tenir les premiers rôles en 2019 : de nouvelles opérations y sont ainsi attendues, parmi lesquelles la finalisation de la cession à NBIM du 79 Champs-Elysées pour plus de 600 millions d’euros » poursuit Antoine Grignon. Pourtant, l’activité du marché des rues commerçantes ne se réduit pas aux seuls actifs parisiens emblématiques. Les investisseurs privilégient également la proximité, format qui a bien résisté pour l’instant aux transformations du commerce et à l’essor des ventes en ligne. Comme évoqué précédemment, plusieurs Monoprix ont par exemple été cédés à la fin de 2018, faisant suite à l’acquisition par Novaxia d’un portefeuille de magasins de la même enseigne en décembre 2017.

Le marché des commerces ne se réduit pas aux seules rues commerçantes. D’autres typologies d’actifs tirent leur épingle du jeu, comme les parcs d’activités commerciales. Près d’1,3 milliard d’euros ont ainsi été investis en 2018 sur cette typologie d’actifs, un volume record, en hausse de 73 % par rapport à la moyenne décennale et constitué à 65 % de cessions de portefeuilles. Portant sur des « boîtes » et des restaurants, l’activité a également été gonflée par une importante cession de centres de marques en régions. Ce sont ces opérations qui ont porté l’activité plutôt que les acquisitions de retail parks, bien plus restreintes du fait de la rareté de l’offre disponible.

Si 2017 avait bénéficié de la cession de plusieurs grands centres commerciaux (Saint-Sébastien, Polygone Riviera, Place des Halles), l’année écoulée s’est en revanche achevée sur un 4e trimestre quasi atone. Sur l’ensemble de 2018, les volumes investis sur le marché des centres commerciaux ne totalisent que 500 millions d’euros, soit une baisse de 70 % sur un an et le montant le plus bas enregistré depuis 2008. « En 2019, ce segment de marché restera probablement pénalisé par l’aversion au risque des investisseurs et la rareté d’actifs prime disponibles. Toutefois, l’amorce de correction des valeurs et le meilleur écoulement d’actifs à revaloriser pourraient contribuer à la remontée des volumes investis » conclut Antoine Grignon.

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