Alors qu’Emmanuel Macron a récemment annoncé de nouveaux investissements pour le très haut débit, l’UFC-Que Choisir rend publique une étude révélant que le déploiement des réseaux de nouvelle génération (fibre optique, câble…), loin d’améliorer la situation des laissés-pour-compte du numérique, creuse les inégalités. Identifiant que le déploiement et les modalités d’exploitation des réseaux en fibre optique risquent de se traduire par une forte hausse des abonnements à Internet, l’UFC-Que Choisir exige des pouvoirs publics un changement de cap pour permettre à tous les consommateurs d’accéder à brève échéance à un Internet financièrement abordable et de qualité.
Fracture numérique : 7,5 millions de consommateurs privés d’une connexion de qualité à Internet !
Mal vécue de longue date par ceux qui la subissent, la fracture numérique prend aujourd’hui des proportions dramatiques puisque selon notre étude, 11,1 % des consommateurs (soit 7,5 millions) sont inéligibles à un Internet de qualité1. Cette exclusion numérique frappe majoritairement les plus petites communes de France. Ainsi, dans les communes de moins de 1000 habitants, moins des deux tiers de la population a en moyenne accès à Internet dans de bonnes conditions alors que c’est le cas pour au moins 86,8 % des consommateurs dans les autres zones. Notre étude souligne qu’en bénéficiant prioritairement aux villes disposant déjà d’un ADSL de qualité, le déploiement des réseaux de nouvelle génération (fibre optique, câble…) creuse les inégalités territoriales. Preuve en est, le meilleur du très haut débit est accessible pour moins de 1 % des habitants en Creuse ou en Dordogne, alors qu’il l’est pour plus de 90 % des habitants à Paris ou dans les Hauts-de-Seine.
Plan France très haut débit : une tendance ne permettant pas d’atteindre les objectifs avant… 2035
Outil principal des pouvoirs publics, le plan France Très Haut Débit vise à couvrir en 2022 100 % de la population en très haut débit, dont 80 % par une offre fibre dite FttH2. Si le premier objectif est incertain (avec seulement 49,7 % de la population couverte en très haut débit début 2017), le second est, lui, tout simplement illusoire. En effet, notre étude montre que le déploiement actuel des réseaux ne permettrait de l’atteindre qu’en 2035, soit avec 13 ans de retard. Si des efforts supplémentaires en investissement des opérateurs, de l’Etat ou encore des collectivités territoriales pourraient rapprocher cet horizon, l’objectif d’une très large couverture en FttH dès 2022 reste toutefois purement chimérique.
Dès lors, il est indispensable que l’Etat cesse de faire du FttH le totem du très haut débit et qu’il consacre ses ressources financières à une réduction rapide de la fracture numérique en permettant à tous de bénéficier d’un Internet de qualité. La France pourra ainsi combler au mieux son inacceptable retard dans le très haut débit par rapport à ses voisins européens (couverture inférieure de 32 points par rapport à l’Espagne, de 37 points par rapport à l’Allemagne, ou encore de 46 points par rapport au Royaume-Uni3).
Fracture numérique aujourd’hui, factures en hausse demain
Le retard dans le déploiement des réseaux en fibre risque d’augmenter le prix de l’ensemble des abonnements du marché. En effet, afin de hâter la construction de ces réseaux, des voix s’élèvent4pour réclamer des mesures qui aboutiraient mécaniquement à la hausse des prix des abonnements ADSL dans les zones où des offres FttH sont disponibles. Or, les offres ADSL constituent sur le marché de l’Internet un pivot tarifaire qui limite la capacité des fournisseurs d’accès à Internet d’augmenter les tarifs sur la fibre. Dès lors, toute hausse de leur prix affecterait l’ensemble des offres Internet, quelle que soit la technologie.
Cette sombre perspective est d’autant plus sérieuse que les modalités de déploiement des réseaux en fibre et de leur exploitation par les opérateurs commerciaux, risquent de structurellement renchérir l’accès à Internet. En effet notre étude montre que le coût d’accès pour un opérateur au réseau d’un concurrent est jusqu’à deux fois plus élevé pour la fibre que pour l’ADSL, ce qui pourrait porter à 40 euros le prix de base d’un abonnement Internet (un tiers de plus qu’aujourd’hui) ! Les factures pourraient être encore plus salées si la concurrence devait être durablement limitée, comme le laisse entrevoir la position dominante d’Orange sur le marché du FttH (70,6 % des réseaux, et 66,5 % des abonnés).
Alors que le développement de nouveaux services (dématérialisation des procédures administratives, télémédecine…) nécessite plus que jamais un accès de qualité à Internet à un prix abordable, l’UFC-Que Choisir, compte tenu des constats désolants dressés sur la fracture numérique ainsi que des perspectives alarmantes qu’engendre l’encadrement actuel du déploiement des réseaux FttH, demande :
– A l’Arcep de mener une analyse prospective sur l’évolution à long terme des tarifs d’accès à l’Internet fixe au regard des coûts de déploiement et d’accès aux réseaux FttH ainsi que de l’évolution du coût d’accès à la boucle locale cuivre (ADSL) ;
– Au gouvernement, d’orienter en priorité ses financements dans les réseaux de l’Internet fixe dans les zones aujourd’hui dépourvues d’un Internet de qualité, et dans l’attente de l’analyse de l’Arcep, de ne mettre en place aucune mesure de hausse du tarif de la boucle locale en cuivre visant à inciter les consommateurs à souscrire une offre en fibre optique.
1 Entendu comme une connexion à un débit théorique supérieur à 3 Mbit/s. En deçà, l’utilisation dans de bonnes conditions de services tels que la visiophonie n’est pas possible. Notons qui plus est que ce seuil retenu reste en cohérence avec celui indiqué dans le cahier des charges du plan France Très Haut Débit qui considère qu’un haut débit de qualité nécessite un débit minimal compris entre 3 et 4 Mbit/s.