Aussi loin qu’il s’en souvienne, Manal Rachdi a rêvé de vivre un jour dans une forêt, avec une bibliothèque et quelques murs. Passionné depuis son enfance par la nature – les grandes balades en famille dans les forêts autour de Rabat au Maroc – et le dessin, qui lui permettait de s’évader d’une scolarité jugée étouffante, il a trouvé dans l’architecture le moyen de concilier ses deux amours. Désormais, tous ses projets intègrent de grands pans de nature – terrasses, forêts intérieures, murs végétalisés – pour (ré)introduire un peu de campagne dans les villes.
« Je fais partie d’une génération dématérialisée et connectée, explique Manal Rachdi en préambule. Avec la démocratisation des voyages, l’omniprésence d’Internet et les évolutions technologiques que cela a entraîné, la virtualité nous a rejoint et on peut être partout à la fois. » Pas question pour autant de se couper de nos racines, de cette nature chassée pendant longtemps des villes et des constructions. Dès ses premiers projets, Manal Rachdi a imposé cette approche, comme pour la rénovation et l’extension du lycée Jean Moulin de Revin, dans la Meuse en association avec Duncan Lewis. Installé dans les méandres de la Meuse, le projet épouse littéralement la montagne et se décline en vagues douces, enherbées pour une parfaite intégration au site. « on a voulu donner une très belle vue avec une même qualité d’ambiance à chaque salle de cours, explique Manal Rachdi. Comme ça, les élèves qui veulent s’évadent n’ont qu’à jeter un regard par la fenêtre sur les montagnes avoisinantes… »
Archéologie du contexte
Pour ce projet, comme pour tous ceux sur lesquels son cabinet oxo architectes travaille, Manal Rachdi établit, en amont, « l’archéologie sensible du contexte ». « Je recherche aux tréfonds du lieu toutes les informations qui peuvent m’aider à concevoir le projet le plus adapté au paysage, à la météorologie, aux habitudes de vie, aux traditions. L’essentiel est d’arriver à un dialogue équilibré entre l’architecture, le bâtiment proprement dit, et son environnement. Et ensuite le traduire en balcons avec vue, en jardins ou en système de camouflage. Il ne faut pas se laisser ensevelir sous le béton ! » Cette philosophie s’exprime parfaitement dans un autre projet : le réaménagement d’une série de viaducs en Calabre, au Sud de l’Italie en association cette fois-ci avec Philippe Rizzotti et Samuel Nageotte.
En réponse au concours international, lancé en 2010, il ont imaginés d’utiliser la structure des ponts pour en faire des tours inversées : les tabliers accueillent les espaces publics (commerces, parkings, espaces de restauration…), des espaces verts et concentrent l’ensemble des flux techniques tandis que les logements s’accrochent le long des piles. « Ces ponts s’inscrivent dans une région, la Calabre, parfaitement tempérée. Notre proposition permettrait de créer des appartements ayant tous une des plus belles vues d’Italie, avec des jardins suspendus. Notre projet, lauréat du concours international et médaille de bronze aux Holcim Awards 2012 [NDRL : concours international qui récompense des projets novateurs et exemplaires sur le thème de la construction durable], entendait réinventer ces ponts, les transformer en ‘nids’ pour les retraités migrants européens avec toutes les infrastructures sociales et médicales nécessaires. » Malheureusement, le projet ne devrait pas se concrétiser, du moins dans un proche avenir.
Une nouvelle façon d’habiter
Autre projet, en cours de réalisation celui-là, L’arbre blanc, une tour de 110 logements sur les rives du Lez, à Montpellier en association avec Nicolas Laisné et Sou Fujimoto. Considérant que les Montpelliérains passent beaucoup de temps dehors, à profiter d’une météo favorable, à partager des moments de convivialité en famille et entre amis, les architectes ont imaginé une tour où chaque appartement possède des terrasses généreuse de presque la même superficie que le logement parfois. «Malgré son nom, l’Arbre blanc n’a rien d’une tour d’ivoire. Incurvée comme une forme naturelle que l’eau ou le vent serait venu creuser, façonner, elle s’étend comme une paire d’ailes pour épouser la ligne tracée par la rivière. » Quant aux terrasses, elles offrent une vue privilégiée sur la ville et le Lez, allant même jusqu’à communiquer les uns avec les autres pour plus de partage. Mais ce qui fait aussi l’originalité du projet ce sont les espaces publics au rez-de-chaussée et sur le roof-top. Ouverts à tous, habitants, promeneurs et touristes, ils accueilleront un restaurant, une galerie d’art en bas et un bar ouvrant sur le jardin panoramique sur le toit. « Nous proposons une nouvelle façon d’habiter : tous les copropriétaires – quel que soit l’étage de leur logement – pourront profiter du panorama de la tour », insiste Manal Rachdi.
Plus récemment, c’est au plateau de Saclay que oxo architectes a remporté un prestigieux concours : celui du bâtiment de Polytechnique d’enseignement mutualisé. Destiné à regrouper plusieurs grandes écoles sur un même campus, le projet joue un parti pris architectural qui associe flexibilité, brassage et ouverture. « La question de base était comment créer un bâtiment qui préfigure l’enseignement du futur ?, raconte Manal Rachdi. Un lieu où les échanges se fassent naturellement entre élèves et enseignants d’écoles très différentes ? » Pour répondre à cette demande, Manal Rachdi, en partenariat avec Sou Fujimoto et Nicolas Laisné, a imaginé un espace central autour duquel s’organisent des salles de classe « avec une gradation du formel à l’informel, de salles très classiques avec un tableau jusqu’à des amphis comme suspendus dans l’espace, avec des connexions (son, internet…) dans les marches, qui permettent a des cours improvisé de se tenir. Nous n’avons pas voulu enfermer l’enseignement mais au contraire insister sur la notion de partage qu’il soit aléatoire ou maîtrisé, pour créer les échanges, le débat. » Et toujours avec cette incursion de la nature au sein même des bâtiments.
« Ecolomie »
« Pour nous, l’écologie est évidente, nécessaire et la réflexion que nous menons sur la durabilité de nos bâtiments se doit d’être pragmatique », insiste Manal Rachdi. Même s’il n’en parle pas à chaque fois, tous ses projets sont éco-conçus : finitions intérieures et extérieures constituées de matériaux durables et écologiques, choix de l’orientation des bâtiments pour optimiser l’apport en énergie solaire, toits végétaux pour améliorer la conservation des eaux pluviales et contribuer à l’efficacité énergétique en réduisant sa déperdition… « Nous considérons les bâtiments comme des réseaux complexes de systèmes fonctionnant à de multiples échelles au cours du temps, explique Manal Rachdi. Notre architecture explore différentes manières d’entrelacer astucieusement ces systèmes, pour rendre les bâtiments les plus efficace possible, tout en aménageant une part du sensible a l’architecture. Mais il reste encore beaucoup de choses à développer et à comprendre pour parfaire le système.»
Manal Rachdi et son agence oxo architectes, s’affairent à développer aujourd’hui des projets qui varient de taille, d’échelle, de typologie: logements, tertiaire, enseignement universitaire et projet mixte, en France et a l’étranger, Il garde toutefois dans tous ses projets une ambition de créer des environnements et système qui permettent à l’architecture de devenir sensible et d’introduire la nature dans notre quotidien.