A/ Un retour de balancier spectaculaire : une décennie de croissance effacée Le marché de l’investissement a été victime d’une réaction brutale et épidermique :
Entre 1999 et 2007, le marché français a fait preuve d’exubérance qui s’est progressivement propagée à tous les actifs et à l’ensemble du territoire métropolitain. Ce dynamisme s’est caractérisé notamment par une compression des taux de rendement et un volume investi croissant reposant sur un fort afflux de capitaux étrangers. 2007 a constitué une année record avec près de 30 milliards d’euros investis. L’activité est retombée depuis lors comme un soufflet : le volume investi a été divisé par plus de 3 et a avoisiné en 2009 le montant relevé en …1999 (près de 8 milliards d’euros dont moins de 6 milliards pour l’Ile-de-France). En Ile-de-France, même s’il a augmenté au cours des trois derniers mois de 2009 par rapport au trimestre précédent, le montant placé est demeuré encore inférieur à celui constaté au 1er trimestre 2008 (moins de 3 milliards d’euros). La province génère, quant à elle, plus des trois-quarts du PIB français.
Pour autant, les investissements qui y ont été réalisés en 2009 (2 milliards d’euros environ) n’ont représenté que 30% du volume placé en France.
La revanche des acteurs traditionnels
Les sociétés non cotées faisant appel public à l’épargne et les compagnies d’assurance privilégient un flux régulier de revenus et n’ont jamais été prêtes à enfoncer leur taux d’intervention. Il leur faut offrir au moins 100 à 150 points de base de plus que les taux des obligations sans risque. De plus en plus exclus de certains segments d’actifs entre 2003 et 2007, ces acteurs sont revenus, depuis lors, sur le devant de la scène profitant de la hausse sensible des taux de rendement.
Après avoir fait montre d’une grande discrétion, les investisseurs étrangers ont peu à peu reconquis des parts de marché (40% du volume placé en 2009).
Les primes de risque financières et immobilières se sont beaucoup accrues. Au cours des deux dernières années Les taux de rendement ont ainsi progressé de 200 points de base pour les meilleurs produits à plus de 350 points de base pour les autres.
Certes en baisse depuis le 2ème semestre 2009 (de 20 à 60 points de base), les taux les plus bas constatés s’inscrivent encore à des niveaux élevés : 5,3/5,5% en mars 2010 contre 3,5/3,75 % en 2007.
Une déflation des prix brutale : l’aspiration vers le haut des taux de rémunération financière et immobilière a signifié une diminution instantanée des valeurs vénales de l’ordre de 15 % à plus de 30%, à loyers constants.
Si on ajoute la baisse des loyers réels, en l’espace d’un peu plus de deux ans, les prix ont fondu de 30% à plus de 50% selon la qualité de l’actif et sa situation. Ceci rend l’évolution du marché de l’immobilier d’entreprise bien singulier, l’immobilier résidentiel n’ayant pas connu un tel effondrement concernant ses meilleurs actifs.
Les actifs d’une valeur supérieure à 80 millions d’euros sont davantage pénalisés que ceux d’une valeur estimée inférieure ou égale à 50 millions d’euros, la décote se situant entre 10 et 15%. Le krach a donc effacé une décennie de croissance.
B/ Une situation paradoxale : jamais les liquidités mondiales n’ont été si abondantes et le potentiel du marché français de l’immobilier d’entreprise demeure considérable
Des liquidités abondantes : les Banques Centrales pratiquent depuis de nombreux mois une politique de financement très accommodante qui a fait s’envoler la masse monétaire. Elles ont en effet ramené leur taux de référence à des plus bas historiques afin de faire face au freinage brutal de la conjoncture. Plusieurs milliers de milliards de dollars ont été injectés dans l’économie mondiale. De 1990 à 2007, la monnaie en circulation basée sur les bilans des Banques Centrales avait progressé de 15% environ. Cette augmentation a doublé depuis lors. En 1990, la base monétaire représentait 4% du PIB mondial contre 21% aujourd’hui.
Cette forte expansion de liquidités est également alimentée par le réinvestissement d’une fraction significative de réserves mondiales de devises en titres obligataires européens et surtout américains. Il se sera ainsi émis, en 2009, quelque 1 300 milliards de dollars de bons du Trésor et 900 milliards de dollars de titres d’emprunts en Europe. Ces investissements en obligations induisent un transfert de liquidités, des rendements obligataires contraints et donc des taux longs limités, facteur monétaire également permissif.
Enfin, les anticipations économiques défavorables des ménages tendent à consolider le stock d’épargne, ce qui est le cas présentement en France.
Un potentiel de marché considérable : le volume investi en France est extrêmement faible comparé au gisement de valeur que représente aujourd’hui le parc d’immobilier d’entreprise, à savoir plusieurs centaines de milliards d’euros.
C/ Des barrières importantes à l’entrée du marché
Ces barrières sont bâties sur :
– La méfiance,
– Des contraintes de financement,
– Un manque d’offre,
– Des pratiques discriminatoires et opportunistes
– Des taux de rémunération élevés
– Quelques préjugés quant au niveau de qualité des actifs
Ces barrières sont-elles justifiées ?
Oui pour partie :
1. Une majorité d’actifs a été achetée trop chère entre 2004 et 2007 ce que reconnaissaient d’ailleurs volontiers les acheteurs eux-mêmes lors d’enquêtes d’opinion annuelles. La prime de risque s‘est progressivement étiolée parallèlement à l’explosion des montants investis (multipliés par 2,5). Les taux se sont allégés de 250 points de base pendant cette période,
2. La qualité moyenne des créances financières s’est dégradée : la santé des marchés locatifs n’est pas bonne et l’évolution de la conjoncture économique à court et moyen terme ne plaide pas en faveur de sa nette amélioration,
3. La grande lenteur de la normalisation du marché interbancaire, conjuguée à une hausse du risque de défaut, conforte les établissements financiers dans leur stratégie de maintien de conditions sévères d’accès au crédit,
4. Les investisseurs qui ne sont pas soumis à la contrainte du petit épargnant optent pour la valorisation du capital immobilier, une anticipation positive des marchés et un fort effet de levier, conditions qui ne sont pas respectées aujourd’hui,
5. La chute très importante des prix de vente ne peut être pleinement acceptée par ceux des bailleurs qui ne doutent pas, avec raison, de la bonne qualité des actifs qu’ils détiennent. Certains ont donc préféré se retirer temporairement du marché en escomptant pouvoir limiter les pertes ultérieurement ce qui a notablement restreint l’offre,
6. 2010 actera sans nul doute la fin de la désinflation ce qui renforcera la prime de risque sousjacente : sous l’hypothèse que le prix du pétrole confirme sa tendance haussière pour s’établir entre 75 et 85 dollars le baril fin 2010 (soit une progression de 40% en moyenne sur un an), l’inflation devrait rebondir et s’établir à 1,5% en 2010 contre 0,2% en 2009 et 2,8% en 2008,
7. La violence de la crise a privé la plupart des acteurs des repères nécessaires à toute bonne prise de décision.
L’ampleur du blocage apparaît toutefois exagérée :
Nous sommes certainement passés d’un excès de financiarisation à un excès de frilosité qui se révèle discriminatoire tant dans le choix géographique que catégoriel des actifs. Or :
1. La bulle immobilière s’est dégonflée. Le « repricing » général s’est traduit par un élargissement de la fourchette des taux d’intervention entre segments d’actifs et au sein de chacun de ces segments, ainsi qu’entre secteurs géographiques.
2. La sur sécurisation en matière d’acquisitions et de financements (exigence de fonds propres – jusqu’à 40% – et de primes d’intervention encore conséquents) évince une large gamme d’actifs tant en Ile-de-France qu’en province bénéficiant d’un niveau de risque satisfaisant. Elle influe bien évidemment sur les taux d’intervention immobiliers.
3. Certains taux de rendement apparaissent trop élevés par rapport au degré réel de sécurisation d’une partie du parc. Comparée au taux sans risque déflaté, la prime de risque plancher excède 400 points de base concernant les meilleurs actifs et varie de 500 (La Défense, grandes agglomérations régionales, par exemple) à plus de 600 points de base pour la très grande majorité des biens.
Leur reflux est lent. Les taux prime n’ont baissé que de quelques points de base depuis 2009. A titre de comparaison, la moyenne en points de base des primes de risque CDS 5 ans Europe catégorie spéculative, a été divisée par 2 au cours des 8 derniers mois. Les primes ne se justifient pas toujours par le niveau de risque fondamental des actifs.
Une réduction sélective des taux d’intervention est donc nécessaire afin d’inciter les propriétaires à céder leurs biens et donc améliorer la fluidité du marché de l’investissement. Cette baisse permettrait de créer un appel d’air de plusieurs milliards d’euros, d’autant que le volume de liquidités en circulation est très élevé.
L’amélioration de la fluidité du marché passe également par l’augmentation du volume de prêts accordés ainsi que par des conditions de financement assouplies qui faciliteraient le reflux des taux de rendement.
4. Les comportements qualifiés d’opportunistes ne concernent pas seulement certains investisseurs. Le rétrécissement de l’accès au marché du crédit a placé les financeurs en position de force alors qu’ils se trouvaient dans une situation de concurrence exacerbée avant la crise. Ils en ont naturellement tiré avantage. Autrement dit, les problèmes de refinancement et le montant accumulé de créances ne peuvent justifier à eux seuls l’élévation de barrières financières parfois significatives à l’entrée du marché.
5. La fin programmée de la désinflation favorisera les bailleurs par le jeu de l’indexation. Ceci concerne bien évidemment les contrats de location récemment signés et ceux qui le seront dans un avenir proche.
Donner davantage de profondeur à l’analyse du risque immobilier permettrait d’instaurer des repères plus solides et de renverser la barrière des préjugés
Diminuer la frilosité des acheteurs et des financiers impose l’adoption d’une grille de lecture pointue (d’ordre micro-sectoriel) du risque immobilier permettant d’appréhender l’ensemble des facteurs d’influence des marchés locaux. En structurant ces derniers, ces facteurs contribuent en effet grandement à la fixation des prix.
Leur meilleure connaissance permettrait de restaurer des repères immobiliers plus solides et de mieux identifier les bons actifs. Ce faisant, elle réhabiliterait une partie du parc aujourd’hui exclue des comités d’investissement et/ou de financement.
Afin d’exploiter toute la richesse du patrimoine français d’immobilier d’entreprise et d’exploitation, le retour aux fondamentaux immobiliers doit ainsi s’accompagner d’une analyse dynamique du couple territoire/bien.
Cette analyse consiste en une :
Expertise des risques structurants : le dynamisme et la valorisation du tissu immobilier dépend intrinsèquement de la richesse des multiples territoires qui composent l’économie régionale. Le dynamisme de ces micro-territoires résulte d’une délicate alchimie entre les différents facteurs qui les structurent : qualité du dynamisme démographique des personnes et des entreprises, qualité et accessibilité du parc résidentiel (offre/coût), des infrastructures de transports, des politiques d’aménagement et d’attractivité locales … Ces facteurs changeants sont autant de leviers de résistance à la dépression immobilière, de croissance future ou de freins au développement.
Expertise des risques opérationnels : inhérents au bien, ils doivent permettre de déterminer, par exemple, sa capacité à être rapidement reloué et à quel niveau de loyer, le montant des travaux nécessaires pour maintenir son attrait, etc…
Il va de soi que ces expertises ne doivent pas seulement produire une photographie des risques à un instant t mais elles doivent également inclure des projections à court et moyen terme. Le degré d’adéquation entre l’actif, son environnement et les contraintes inhérentes au marché (qualité et volume de l’offre directement concurrentielle ; qualité de la solvabilité des besoins exprimés) détermine le niveau de sécurisation fondamental du bien : est-il toujours performant et cette performance est-elle pérenne ?
L’étude de l’ensemble des facteurs structurants et opérationnels s’avère incontournable car elle permet d’identifier toute une gamme d’actifs adaptés aux besoins réels des entreprises en termes de prestations et de coût locatif et qui sont pourtant « oubliés » ou écartés des processus décisionnels. Ce faisant, elle redéfinit les contours de ce que peut être un actif « core ».
Perspectives
Ayant atteint un point très bas, le volume d’investissement ne peut que progresser. Le cru 2010 devrait néanmoins demeurer bien en deçà du niveau moyen atteint entre 2005 et 2007 et surtout de son potentiel ainsi que le confirment les placements réalisés au cours du 1er trimestre 2010. Les contraintes de financement, l’évolution des marchés locatifs, les comportements opportunistes et méfiants et, parfois, un manque de profondeur en matière d’analyse du risque immobilier, continueront de corseter l’activité au cours des prochains mois. Les prix de vente devraient se stabiliser pour les meilleurs actifs dont on peut se demander s’ils doivent se réduire principalement à des biens situés dans le Quartier Central des Affaires parisiens.
Sur la base d’un diagnostic rationnel du risque réel que représente le parc d’immobilier d’entreprise et d’exploitation, le potentiel du marché français s’avère considérable. Engagé dans une course d’obstacles, le marché de l’investissement dispose d’un allié de poids : un océan mondial de liquidités lequel, comme au début des années 2000, devrait immanquablement générer une nouvelle phase d’expansion ou (bulle ?) immobilière. La question principale à poser est donc la suivante : combien de temps faudra-t-il avant de retrouver le niveau d’activité de 2007 ? A compter de l’ouverture du robinet mondial de financement fin 2001, il avait fallu 6 années lors du précédent cycle. Nous pensons que le délai sera moindre cette fois-ci.
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