Les fleurs à l’attaque du patrimoine


L’étude menée par des chercheurs serbes, en collaboration avec le Laboratoire de dynamique, interactions et réactivité (Ladir, CNRS / UPMC), est formelle : la forteresse de Belgrade est également menacée par des parterres de fleurs et non par le seul chauffage au charbon comme supposé jusqu’à présent. La dégradation des murs de la forteresse serait ainsi en partie causée par le potassium contenu en grande quantité dans les fertilisants utilisés par les jardiniers. Il serait responsable de la formation des croûtes noires qui maculent les murs des remparts. Pour préserver ce patrimoine, les chercheurs préconisent d’éviter le surdosage d’engrais. Leurs conclusions seront publiées au cours du premier trimestre 2012 dans la revue Journal of Cultural Heritage et pourront être profitables à d’autres sites patrimoine de par le monde.

A Belgrade, des fortifications furent érigées dès le Moyen Âge sur le plateau Kalemegdan qui surplombe la confluence du Danube et de la Sava. Aujourd’hui, les remparts de la forteresse de la capitale serbe forment un vaste parc fleuri et ombragé, proche du centre-ville, qui fait le bonheur des habitants et des touristes. Mais, sur ses murs en calcaire, on observe depuis une vingtaine d’années la formation de croûtes noires qui étaient jusqu’à présent uniquement attribuées aux fortes teneurs en dioxyde de soufre dégagées par le chauffage au charbon utilisé par les Belgradois.

En collaboration avec Philippe Colomban, chercheur CNRS au Ladir, l’Université de Belgrade et l’Institut des routes de Serbie, ont analysé les croûtes noires formées sur la « Porte Royale » de la forteresse. Objectif : déterminer le processus de dégradation, pour ensuite proposer aux autorités les solutions de conservation les plus appropriées. Différents prélèvements de la pierre calcaire et des mortiers à chaux ont été étudiés par porométrie (1), diffractométrie de rayons X, spectroscopies infrarouge et Raman, microscopie électronique et analyse élémentaire.

Au-delà d’une certaine concentration de dioxyde de soufre dans un air humide, des pluies ou des brouillards acides peuvent se former, conduisant à la formation de sulfates calciques et de carbonates « noirs » qui donnent un aspect peu esthétique aux façades. De manière surprenante, les chercheurs ont mis en évidence d’importantes quantités de syngénite, un sulfate double de potassium et de calcium. Ce produit de corrosion se forme habituellement sur les vitraux potassiques du Moyen Âge et les constructions en granite ou utilisant un mortier contenant du potassium. Jamais il n’avait été encore observé sur des pierres en calcaire très pur. D’où peut-il bien provenir ? Après différentes analyses, les chercheurs ont révélé une concentration anormale en potassium dans le sol, à proximité des murs des remparts, Or, ces derniers comportent des zones ornées de plates-bandes fleuries où, afin de favoriser la floraison, les jardiniers apportent un fertilisant riche en potassium. Une simulation de l’action d’une eau acidifiée et chargée en potassium sur des morceaux de calcaire a confirmé qu’il se formait bien de la syngénite, comme observé sur la « Porte Royale ». Belles fleurs et conservation du patrimoine monumental nécessitent donc un subtil dosage de l’apport en potassium afin d’éviter cette pollution. Des mesures sur site sont prévues pour cartographier l’ampleur du phénomène.

(1) Il s’agit de l’étude de la distribution du vide dans un matériau poreux.

Chercheur CNRS l Philippe Colomban l T 01 49 78 11 05 l philippe.colomban@glvt-cnrs.fr

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