Éris se dévoile : une lointaine jumelle de Pluton ?


À l’initiative de huit chercheurs de l’Observatoire de Paris, du CNRS, de l’Université Pierre et Marie Curie et de l’Université Paris Diderot, une équipe internationale a observé le 6 novembre 2010 l’occultation d’une étoile par Éris, l’objet le plus lointain actuellement décelable dans le Système solaire. La soixantaine d’astronomes amateurs et professionnels opérait depuis l’Amérique du Sud. Cette observation a permis de caractériser plus finement Éris. La planète apparaît plus petite que prévu (2 326 kilomètres de diamètre) et couverte d’une brillante pellicule de glace d’azote. Ces résultats sont publiés le 27 octobre 2011 dans la revue Nature.

Le 6 novembre 2010, à 3h19 heure de Paris (2h19 temps universel) : trois télescopes de 40, 50 et 60 centimètres de diamètre basés au Chili, à San Pedro de Atacama et à l’Observatoire européen austral ESO de La Silla, ont enregistré la disparition d’une étoile de la constellation de la Baleine. L’extinction a duré 30 secondes à La Silla et 80 secondes à San Pedro, respectivement : c’est le temps pendant lequel la planète naine Éris – objet le plus éloigné discernable à ce jour dans le Système solaire – est passée devant l’étoile et l’a masquée. Les spécialistes en ont déduit quantité d’informations inédites à propos d’Éris, qui se déplace à 15 milliards de kilomètres du Soleil, soit trois fois plus loin que Pluton. Ils ont obtenu des précisions sur son diamètre, sa surface et son atmosphère.

Cette observation de l’occultation d’une étoile de la Voie lactée par un objet d’avant-plan est le fruit d’une intense collaboration qui a mobilisé une soixantaine d’astronomes professionnels et amateurs de France, Espagne, Brésil, Belgique, Chili, Argentine, Italie, Allemagne, Royaume-Uni et Mexique. L’opération a été menée à l’initiative, entre autres, de huit chercheurs de l’Observatoire de Paris, du CNRS, de l’Université Pierre et Marie Curie, de l’Université Paris Diderot, de l’Université Lille 1 Sciences et Technologie et de l’Institut Universitaire de France : Bruno Sicardy, Emmanuel Lellouch, Jean Lecacheux, Françoise Roques, Pablo Santos Sanz et Thomas Widemann du Laboratoire d’Études Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique – LESIA1 ainsi que François Colas et Daniel Hestroffer de l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Éphémérides – IMCCE2. Au final, les données acquises permettent d’en apprendre davantage sur l’astre dont la découverte, en 2005, avait abouti à ramener de 9 à 8 le nombre de planètes membres du Système solaire, Pluton était exclu de la liste. Éris semble ainsi plus petit que prévu, et comparable en taille à Pluton. Il ne mesurerait que 2 326 kilomètres de diamètre, contre 2 300 à 2 400 pour Pluton. Sa surface apparaît par ailleurs couverte d’une mince et brillante pellicule de glace d’azote.

Circonstance d’exception
Riches en information, les occultations d’étoiles sont des phénomènes ardemment recherchés des spécialistes. Ils parcourent le monde afin de les surprendre et de les chronométrer. C’est la seule méthode capable de déceler, depuis la Terre, des détails morphologiques de l’ordre du kilomètre et des variations équivalentes à un milliardième d’atmosphère dans l’environnement de l’objet occultant. Cependant, sa mise en œuvre et sa prédiction, des années à l’avance, sont très difficiles et représentent un défi.

Ici, la discrète étoile de la constellation de la Baleine, 25 000 fois trop faible pour pouvoir être aperçue à l’œil nu, avait été identifiée en 2007 par une équipe de Rio de Janeiro (Brésil) dans un recensement conduit au télescope de 2,2 m de l’ESO, à La Silla. Quelques semaines avant le rendez-vous, une campagne menée par des équipes de Rio Janeiro, Grenade (Espagne) et Genève (Suisse) a confirmé que l’ombre d’Éris projetée dans la lumière stellaire survolerait bien l’Europe méridionale ou l’Amérique du Sud. Au final, elle a effleuré le Brésil, l’Uruguay, la Bolivie, l’Argentine, le Pérou, le Chili. En tout, un ensemble de 26 télescopes étaient mobilisés pour la scruter. Dix se sont, hélas, trouvés sous les nuages. Les deux télescopes de San Pedro de Atacama et un troisième, belge, basé à La Silla, ont bien détecté l’événement attendu.

Portrait d’Éris
Éris appartient au club très fermé des « planètes naines » du Système solaire. Il y côtoie l’astéroïde Cérès et les objets transneptuniens Haumea, Makemake et Pluton, en hibernation au-delà de Neptune. Cette catégorie d’objets possède une masse insuffisante pour avoir réussi à nettoyer son orbite des corps qui s’y trouvent en éjectant les intrus. Pluton représente ainsi 0,2 % de la masse de la Terre et Éris 0,25 %.

Éris boucle une révolution autour du Soleil en 560 ans. Son orbite de forme allongée le fait osciller entre 6 et 15 milliards de kilomètres de notre étoile. Sa trajectoire s’avère inclinée de 44° par rapport au plan moyen de circulation des planètes dans le Système solaire. Sa surface, à l’instar de celle de Pluton, est dominée par la glace d’azote N2 et recèle par ailleurs moins de 10 % de glace de méthane CH4. Aujourd’hui, Éris se trouve près de son point d’éloignement maximum (aphélie) – à presque 100 fois la distance de la Terre au Soleil. Il possède un petit satellite (une lune) naturel Dysnomia.

Les résultats inédits de l’occultation
Première surprise : Éris voit ses dimensions rétrécir. Son diamètre se trouve ramené à 2 326 kilomètres. En conséquence, la densité de l’astre passe à 2,52 grammes par centimètre-cube. Ce qui suggère un gros corps rocheux couvert d’un modeste manteau de glace d’une centaine de kilomètres d’épaisseur, les deux composantes comptant pour des proportions de 85 % et 15 %.

Autre révélation : Éris apparaît extrêmement brillant. Son sol réfléchit… 96 % de la lumière solaire incidente ! C’est bien davantage que les 80 % constatés avec de la neige fraîche. De quoi peut bien se composer une telle matière immaculée ? « Difficile de l’imaginer, répond Bruno Sicardy, enseignant-chercheur au LESIA (Observatoire de Paris, CNRS, Université Pierre et Marie Curie, Université Paris-Diderot). Cet éclat pourrait s’expliquer par la jeunesse ou fraîcheur du sol gelé : il ne date pas des origines du Système solaire. Au fur et à mesure qu’Éris s’approche ou s’éloigne du Soleil sur son orbite, son atmosphère d’azote se condense en fine couche brillante d’environ un millimètre d’épaisseur. Puis, elle se volatilise de nouveau. »

Au plus proche du Soleil, la température atteindra -238°C (35 kelvins). L’azote se sublimera. Des régions sous-jacentes plus sombres apparaîtront exposées. Une infime atmosphère – quelques 100 000 fois plus ténue que celle de la Terre, semblable à celle de Pluton – se dégagera. Aujourd’hui dormante, drapée dans sa fine pellicule d’azote glacé, Éris est une jumelle éloignée de Pluton prête à s’éveiller d’ici quelques siècles.
Selon les calculs, la prochaine occultation d’étoile par la naine lointaine se produira en août 2013 au-dessus du Pacifique sud. Les aficionados prennent déjà date.

1- Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique LESIA (Observatoire de Paris, CNRS, Université Pierre et Marie Curie, Université Paris-Diderot)
2- Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Éphémérides IMCCE (Observatoire de Paris, CNRS, Université Pierre et Marie Curie, Université Lille 1)

Contacts Chercheurs :
Bruno Sicardy l T 01 45 07 71 15 l bruno.sicardy@obspm.fr
Emmanuel Lellouch l T 01 45 07 76 72 l emmanuel.lellouch@obspm.fr

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