La loi Évin, très connue et très populaire, a accompagné un changement profond de la société. Mais, deux décennies plus tard, elle doit prendre un nouvel élan : depuis trois ans, à la demande de l’Élysée, le ministère du Budget s’est réattribué le dossier tabac au détriment du ministère de la Santé.
La loi du 10 janvier 1991, dite « loi Évin », relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, est un des grands dispositifs législatifs de santé publique mis en place dans notre pays, notamment dans sa partie « tabac » (les mesures concernant l’alcool n’ont pas eu d’effets exemplaires). Cette loi (et les différents décrets, arrêtés et circulaires qui la complètent) a ponctué la lutte contre le tabac et influencé les différents combats menés contre le tabagisme en Europe et dans le monde entier.
Comme peu de lois de santé publique l’ont été, elle a été intimement liée au quotidien des Français qui ont perçu que ce texte, signé par dix-sept ministères, avait été rédigé pour préserver leur santé. Décision politique et vie quotidienne au diapason. La plupart des Français veut continuer à faire vivre cette loi en progressant dans le contrôle du tabac. Les fumeurs eux-mêmes dans leur grande majorité souhaitent être aidés dans cette lutte contre le tabagisme qui touche aujourd’hui de plus en plus de personnes en situation de précarité. Le tabac provoque un appauvrissement de la France par la maladie et aggrave les inégalités sociales ; il coûte plus cher à la France qu’il ne lui rapporte.
La Convention cadre contre le tabac (CCLAT) de l’OMS, signée par la France, sera le thème de la prochaine Journée mondiale sans tabac le 31 mai 2011, jour inscrit dans la loi française pour promouvoir une vie sans tabac. Cette convention cadre, en grande cohérence avec la loi Évin, donne un cadre précis, imposant aux pays d’agir, et doit contribuer à la vitalité de cette loi dans les vingt prochaines années.
La loi Évin a accompagné les profonds changements d’image du tabac dans la société. En 1991-1992, elle a introduit la notion de tabagisme passif et la nécessité de protéger les non-fumeurs. Malheureusement, dans les faits, cela s’est seulement traduit par un partage de l’espace « fumeur/non fumeur ». Le décret Bertrand de novembre 2006, en application de la loi Évin, a permis au 1er janvier 2008 d’obtenir dans une société qui avait évolué une véritable protection des non-fumeurs. Un magnifique succès de l’action politique.
Les hommes fument de moins en moins depuis 1991. Hélas, le tabagisme a continué de croître chez les femmes. Ainsi, si le taux de cancer du poumon chez les hommes jeunes a été divisé par deux ces quinze dernières années, celui des femmes jeunes a été multiplié par quatre au cours de la même période, suivant l’évolution du tabagisme féminin.
Les actions conduites en 2002 pour montrer que la fumée du tabac était un polluant toxique et cancérogène, puis en 2003 la « déclaration de guerre au tabac » par le président de la République dans le cadre du premier Plan cancer ont permis :
* * de faire chuter de 82 à 54 milliards le nombre de cigarettes vendues,
* * de diviser par deux le nombre de fumeurs dans les écoles et collèges parisiens (avec un effet supérieur chez les filles que chez les garçons),
* * de diminuer de 1,8 million le nombre de fumeurs et donc de faire gagner des dizaines de milliers d’année de vie en bonne santé.
Un magnifique succès de l’action politique.
Malheureusement, cette loi qui a protégé des dizaines de milliers de vie et a accompagné efficacement le premier Plan cancer, a été annihilée depuis trois ans par les arbitrages de l’Élysée en faveur du ministère du Budget contre celui de la Santé. Depuis trois ans, la politique de la France en matière de contrôle du tabagisme s’est totalement inversée.
Soixante six mille morts par an. Le tabac tue maintenant quinze fois plus que la route. C’est inacceptable car il s’agit de morts évitables par une bonne application de la loi Évin. Alors que le principe de précaution est inscrit dans notre constitution, il est d’autant plus coupable de ne pas appliquer le principe de certitude. Le tabac tue chaque année autant que l’amiante n’a jamais tué de personnes et n’en tuera jamais. Le tabac tue chaque année près de cent fois plus que le Sida en France. Tous les deux jours, le tabac fait autant de morts que l’on en attribue depuis trente ans au Mediator…
Depuis trois ans, quelques mesurettes peu efficaces ont été mises en avant pour délivrer un peu de poudre aux yeux. Cet arbitrage qui sacrifie la santé au profit du budget porte malheureusement ses fruits :
* * 2,6% de cigarettes vendues en plus en 2009 par rapport à 2008 selon les chiffres consolidés d’Altadis distribution qui viennent de tomber,
* * 1,9% de fumeurs en plus selon l’INPES[1],
* * 500 millions de plus dans les caisses de l’État sur les seules taxes tabac qui atteignent 12 milliards d’euros (TVA incluse),
* * près de 90 millions d’euros de plus pour la filière de l’industrie du tabac,
* * 1 million de fumeurs (surtout des fumeuses) de plus en France.
La volonté politique et l’influence des lobbys du tabac ont imposé depuis trois ans à la loi Évin un rétropédalage : la santé des Français n’est plus une priorité au regard de la perception des taxes, perception toute artificielle puisque les 18 % de plus pris dans le porte-monnaie des fumeurs par l’État et l’industrie du tabac sont pour une grande part payés par les plus précaires et donc perdus pour l’économie française.
Ce vingtième anniversaire de la loi Évin doit être l’occasion pour le nouveau ministre de la Santé et sa secrétaire d’État de reprendre l’initiative, et pour l’Élysée et Matignon d’arbitrer en faveur de la bonne santé physique des Français et de la bonne santé financière de la France dans son ensemble (et non pas à l’avantage des seules perceptions de taxes et des bénéfices de l’industrie du tabac).
20 ans de Loi Évin : Les 20 points-clés selon l’OFT
1 Limitation des zones où l’on peut fumer : un premier pas
2 Informations sanitaires en version texte sur les paquets de cigarettes
3 Interdiction de vente des paquets de 5 et 10 cigarettes
4 Interdiction de vente au moins de 16 ans puis au moins de 18 ans
5 Limitation du taux de vanilline et de produits sucrés dans les cigarettes
6 Augmentation du prix du tabac 2003-2004 (à coût stable pour les Français)
7 650 consultations de tabacologie à travers la France
8 Des médicaments d’arrêt mieux évalués et plus facilement accessibles
9 Début de la prise en charge par le forfait de 50 €
10 Mobilisation des mutuelles pour aider les fumeurs
11 Évolution des ventes de cigarettes 1991-2006 (en forte baisse, mais rechute)
12 Évolution du tabagisme chez les hommes (en forte baisse)
13 Évolution du tabagisme chez les femmes (stabilisation, mais reprise récente)
14 Évolution du tabagisme chez les jeunes (en forte baisse, mais reprise récente)
15 Évolution des cancers du poumon chez les hommes (en baisse)
16 Évolution des cardiopathies ischémiques chez les hommes jeunes (en baisse)
17 La grossesse sans tabac : de plus en plus une norme sociale (il reste beaucoup à faire)
18 Diminution de la pollution des locaux par les PM2.5 (en forte baisse > 80 %)
19 Succès du contrôle du tabac y compris dans les hôpitaux psychiatriques
20 Domicile sans tabac (les Français appliquent chez eux le principe de la loi)
[1] Premiers résultats du baromètre santé 2010. Évolutions récentes du tabagisme en France, INPES. 18 octobre 2010.
Contacts OFT – www.ofta-asso.fr
Pr Bertrand Dautzenberg, président de l’Office français de prévention du tabagisme
06 13 43 70 48 ● b.dautzenberg@ofta-asso.fr
66, boulevard Saint-Michel ● 75006 Paris ● Tél. 01 43 25 19 65