En Europe, la Suisse fait figure de cancre en matière de protection de la nature. En effet, sa liste rouge des espèces menacées d’extinction ne cesse de s’allonger et un tiers de toutes les espèces animales et végétales qui y vivent risquent de disparaître.
Bien que la biodiversité soit notre base existentielle, sa protection n’est pas une priorité pour les politiciennes et les politiciens du pays. Des intérêts particuliers à court terme dans le secteur agricole ou celui de l’énergie affaiblissent les dispositions de protection et freinent les progrès en matière écologique. Dans ces conditions, de plus en plus d’espèces disparaissent à jamais.
Pour freiner cette extinction de masse, des mesures efficaces doivent être prises immédiatement : une agriculture adaptée, plus respectueuse de l’environnement, un rythme accéléré dans la renaturation de nos cours d’eau ainsi que la mise en place et l’entretien d’une infrastructure écologique nationale des surfaces précieuses.
Tout autour du globe, la diversité des espèces s’amenuise rapidement: selon le rapport de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction et les populations de faune sauvage ont reculé de 69% depuis 1970. L’accord qui doit être adopté à la conférence de Montréal doit permettre à la communauté internationale d’inverser cette tendance. Des décisions ambitieuses doivent contribuer à la réalisation de cet objectif. La conservation de 30% des écosystèmes terrestres et aquatiques ainsi que la restauration, jusqu’en 2030, des écosystèmes déjà détruits en font partie.
La Suisse s’engagera pour des objectifs «ambitieux, mesurables et précis». Mais alors que la protection de la biodiversité à l’échelle internationale doit être renforcée, la politique intérieure manœuvre dans une autre direction.
Politique énergétique
Les biotopes d’importance nationale abritent un tiers de toutes les espèces animales et végétales menacées, alors qu’ils occupent seulement 2% de notre territoire. Il est nécessaire de les préserver et de les valoriser pour contrer la perte d’espèces et d’habitats. Toutefois, même la protection de ces espaces particulièrement précieux, aussi pour nous autres êtres humains, risque d’être réduite à néant: dans le cadre des débats sur l’acte modificateur unique (révision de la loi sur l’énergie et de la loi sur l’approvisionnement en électricité), le Conseil des Etats a supprimé la protection particulière dont jouissaient ces biotopes pour permettre la construction d’installations destinées à la production d’énergie. Si cette protection disparaît définitivement, les dommages à la nature seront irréversibles. L’extinction des espèces va encore davantage s’accélérer en Suisse. Les changements climatiques et la crise de la biodiversité ne devraient pas être opposés l’un à l’autre. Ils demandent plutôt des solutions conjointes.
Les biotopes nous aident à lutter contre le réchauffement de la planète: en effet, ils protègent des crues et de la sécheresse, purifient l’eau et stockent le CO2. Malgré cela, même les débits résiduels minimaux, déterminants pour leur survie, sont attaqués sur l’échiquier politique. Pourtant, nos rivières et nos ruisseaux souffrent déjà de la sécheresse en raison du réchauffement climatique. Ainsi, 58% des espèces de poissons indigènes figurent sur la liste rouge.
Politique agricole
Le Conseil fédéral et la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des Etats recommandent de rayer les mesures de protection de l’environnement prévues à l’origine dans la nouvelle politique agricole 22+. Une telle décision serait un revers incompréhensible puisque pour l’heure, aucun des 13 objectifs environnementaux définis pour l’agriculture n’ont encore été réalisés. Surtout, il ne s’agit pas d’objectifs fantaisistes, mais de l’application du droit environnemental en vigueur. Dans le dossier de la réduction des risques liés aux pesticides et aux excédents d’éléments nutritifs, les revendications en faveur d’une dilution des exigences se font également plus fortes: plusieurs interventions parlementaires demandent d’affaiblir la mise en œuvre de la contre-proposition informelle promise au peuple lors de la votation sur l’initiative relative aux pesticides en juin 2021.
Contre-projet à l’initiative biodiversité
Dans le cadre des débats sur le contre-projet indirect à l’initiative biodiversité, le Parlement a actuellement une chance unique de contrer les pertes dans ce domaine en Suisse. Le projet prévoit la mise en place d’un réseau de surfaces de grande valeur écologique, appelé infrastructure écologique, qui fonctionnent et dont la pérennité est assurée à long terme. Au Parlement, les premières tentatives visant à donner simplement une nouvelle étiquette aux surfaces existantes au lieu d’en protéger d’autres, ont pour l’instant échoué. L’objet doit maintenant être traité par la Commission de l’environnement, qui va devoir relever ces défis.
En Suisse, le besoin d’agir est urgent: la moitié des biotopes et un tiers des espèces risquent de disparaître. Le pays ne respecte même pas ses obligations internationales. Dans son rapport environnemental 2020, l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) constate que «la Suisse affiche son plus mauvais résultat dans le domaine de la biodiversité: le pourcentage de zones protégées par rapport au territoire national est le plus bas de tous les pays européens.»
Un communiqué de presse publié récemment par la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national révèle la valeur accordée en Suisse à la protection des espèces: «Nous soutenons la biodiversité, mais…»: avec ce «oui, mais», la nature passe forcément au second plan. Pourtant, notre existence dépend des prestations que nous fournit gratuitement une biodiversité intacte: pollinisation, fertilité du sol, purification de l’eau, stockage du carbone et protection contre les crues.
Pour sa part, la population souhaite que la biodiversité soit davantage protégée: dans une enquête représentative réalisée par GFS, 77% des personnes interrogées en 2021 ont indiqué qu’une réglementation contraignante était nécessaire pour éviter que l’état des cours d’eau suisses ne s’aggrave davantage. En outre, 74% des sondées et sondés souhaitaient mieux protéger les cours d’eau naturels et proches de l’état naturel. Des régions comme le Val Roseg et le Maderanertal en font aussi partie: ce sont des biotopes d’importance nationale. Les aspirations de la population sont à l’opposé des récentes décisions prises sur la scène politique. Nos élues et élus doivent enfin fixer correctement les priorités.