Les hermelles sont de petits vers marins sédentaires vivant dans un tube de sédiments sableux qu’ils construisent en sécrétant leur propre colle. Agglomérés, ces tubes forment des récifs pouvant s’étendre sur plusieurs kilomètres carrés. Ces constructions solides ont un rôle écologique majeur pour les écosystèmes marins : elles protègent le trait de côte de l’érosion et abritent une grande biodiversité avec un nombre d’espèces présentes jusqu’à 10 fois plus important que dans les zones sableuses voisines.
Aujourd’hui, les hermelles colonisent les estrans du Maroc jusqu’à l’Ecosse avec une préférence pour les côtes françaises. Le changement climatique pourrait-il modifier leur distribution le long des côtes européennes ? C’est ce qu’a cherché à savoir une équipe de l’Ifremer dans le cadre du projet REEHAB (REEf HABitat).
UNE ESPÈCE QUI S’ÉTEND MAIS SE FRAGILISE
« D’après notre étude, l’hermelle est une espèce plutôt gagnante du changement climatique à l’horizon 2050 selon un scénario climatique intermédiaire, le RCP 4.5 du GIEC avec une augmentation de la température de 2°C. Elle gagnerait 27,5 % de superficie en Europe avec une extension de son aire de distribution vers le nord des côtes écossaises à la Manche orientale », explique Amélia Curd, ingénieure de recherche en écologie benthique côtière à l’Ifremer.
Au-delà de cette évaluation globale, les scientifiques ont regardé en détail les impacts du changement climatique au cœur de la zone de distribution de l’espèce, et non plus aux simples limites nord et sud. Ils ont analysé la taille et la fragmentation des zones côtières colonisées par l’hermelle.
« Nous nous sommes rendus compte qu’avec le changement climatique, en 2050, l’hermelle pourrait avoir disparu de certaines zones centrales de son aire de vie comme les Pertuis charentais et la Vendée, pointe Stanislas Dubois, chercheur en écologie benthique côtière à l’Ifremer. Ces ruptures dans la distribution de l’espèce limiteront les échanges de larves qui voyagent d’un récif à l’autre grâce aux courants. Plus les récifs sont éloignés les uns des autres, plus il est difficile pour les larves de les atteindre. De proche en proche, ces ruptures d’abord locales pourraient devenir alors régionales ».
UNE ESPÈCE À PROTÉGER
Pour parvenir à ces résultats, les scientifiques ont d’abord compilé les données historiques – jusqu’aux archives du Muséum national d’Histoire naturelle – récoltées dans toute l’Europe. A partir de ces informations, ils sont parvenus à modéliser la distribution actuelle des récifs en Europe et à déterminer le type d’environnement physique (température de l’air et de l’eau, force des vagues et orientation des vents…) favorable à l’hermelle et à la présence de récifs. En utilisant les projections du scénario 4.5 du GIEC, ils ont ainsi pu identifier les zones qui rassembleront les bonnes conditions de vie pour les hermelles en 2050 et celles qui sont susceptibles d’être désertées par l’espèce.
Bien que listés en Annexe I de la Directive Habitat 92/43/CEE concernant la conservation des habitats naturels, ces récifs ne bénéficient d’aucune mesure de gestion et de protection à l’échelle nationale et européenne. Seules quelques initiatives (panneaux pédagogiques, arrêtés préfectoraux pour limiter le nombre de personnes ou la quantité de coquillages ramassée sur les plages) existent localement, même si une vraie prise de conscience a eu lieu de la part des gestionnaires de l’environnement ces dernières années.
« Si nous ne pouvons pas protéger l’hermelle du changement climatique en cours, il est en revanche à notre portée de lui attribuer un statut de protection et d’œuvrer localement pour empêcher la détérioration de cet habitat naturel sensible et utile pour nos écosystèmes littoraux », conclut Stanislas Dubois.