Pour Greenpeace France, avec ce projet de loi le gouvernement trahit la mission qu’il avait lui-même donnée à la Convention citoyenne et creuse un peu plus le fossé qui le sépare des attentes de la société civile, des recommandations de la science et maintenant de la justice. Alors que le jugement historique rendu dans l’Affaire du Siècle a confirmé que l’inaction climatique de l’État est une faute [1], les député·es doivent avoir le courage de renforcer ce projet de loi.
« Face à des juges qui viennent de reconnaître que l’État est responsable d’inaction climatique, la seule réponse du gouvernement, c’est un projet de loi au rabais… Cherchez l’erreur ! La décision de l’Affaire du Siècle ne dit pas autre chose : l’enjeu aujourd’hui est d’agir plus pour faire baisser rapidement nos émissions de gaz à effet de serre. Cela suppose que le gouvernement cesse de mener tout le monde en bateau avec des mesurettes sans impact réel [2] », commente Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France.
Dimanche 7 février, la ministre de la Transition écologique et le président de la République ont publiquement défendu le bilan carbone de la France en 2019… sans mentionner que le gouvernement avait au préalable abaissé son ambition climatique [3] et que les chiffres ne prennent pas en compte les émissions importées.
« Ce genre de tour de passe-passe et d’auto-congratulation abusive relève tout bonnement de la manipulation. Barbara Pompili ferait mieux d’admettre que le texte n’est pas satisfaisant en l’état, et d’appeler à la mobilisation parlementaire pour le renforcer dans l’hémicycle et défendre l’esprit de la Convention. Nous ne regrettons pas le vote du public lui décernant un prix à l’occasion de la cérémonie des Boulets du climat, organisée par Greenpeace il y a à peine deux semaines », poursuit Jean-François Julliard.
Dans le détail, Greenpeace réaffirme la nécessité de rendre ce texte plus ambitieux en y intégrant des mesures systémiques et contraignantes pour décarboner notre économie dans le respect de la justice sociale, dans plusieurs secteurs clés pour la transition écologique.
Consommer / Produire / Travailler
Greenpeace dénonce les jokers à répétition et autres renoncements du gouvernement qui a enterré certaines mesures fortes de la CCC comme :
- l’interdiction des publicités qui incitent à la consommation de produits polluants,
- l’abandon du traité de libre échange CETA qui menace l’agriculture paysanne,
- la taxation des dividendes climaticides pour les grandes entreprises,
- le moratoire sur les nouvelles zones commerciales et les entrepôts de e-commerce,
- ou encore l’instauration d’un impôt écologique sur la fortune.
« Comme à son habitude, le gouvernement refuse toute régulation réellement contraignante et transformationnelle du secteur industriel. Sur la publicité, alors qu’il faudrait inclure tous les biens et services qui reposent principalement sur des énergies fossiles, le projet de loi restreint le champ d’application aux seules publicités faisant la promotion d’énergies fossiles, alors qu’elles sont en fait d’ores et déjà extrêmement rares. Pour le reste, il travestit la proposition de loi Evin climat promue par la Convention en simples engagements volontaires de la part des entreprises, soit une démarche purement incantatoire qui a déjà fait la démonstration de son inefficacité. C’est la porte grande ouverte au greenwashing. Cet exemple démontre l’incapacité du pouvoir actuel à mettre notre modèle économique au diapason de l’urgence climatique », commente Clément Sénéchal, chargé de campagne Politiques climatiques à Greenpeace France.
Se loger
Greenpeace demande une obligation de rénovation des logements globale, performante, juste et ambitieuse dès 2024.
« Pour lutter contre le fléau des passoires énergétiques, il faut des moyens et de l’ambition ! En ce sens, l’obligation de rénovation énergétique performante des logements était l’une des mesures les plus ambitieuses et structurantes de la CCC. Là encore, nous n’avons eu que de belles promesses [4] sans effet pour les familles les plus précaires qui continuent à vivre dans des logements mal isolés qui plombent leurs factures, leur santé et les objectifs de décarbonation du secteur du bâtiment », commente Nicolas Nace, chargé de campagne Énergie à Greenpeace France.
Se déplacer
Pour le secteur des transports, Greenpeace dénonce la faiblesse du projet de loi sur le trafic aérien et demande notamment :
- la réelle interdiction des projets d’extension d’aéroports,
- le renforcement de la disposition interdisant les vols intérieurs, [5]
- un plan ambitieux de relance du secteur ferroviaire (sujet absent du projet de loi).
« Le gouvernement prétend se saisir de l’enjeu de la régulation du secteur aérien dans ce projet de loi, mais il s’agit d’une imposture. L’interdiction des vols courts a ainsi été vidée de sa substance puisque, au mieux, seules cinq connexions aériennes intérieures sur la centaine existante seraient désormais concernées. Pourtant, des alternatives en train existent déjà souvent et pourraient être davantage développées si on y met les moyens. De plus, en l’état, le projet de loi ne permet pas d’acter réellement la fin des projets d’extension d’aéroports qui visent à augmenter le trafic aérien… alors qu’il faudrait le réduire », commente Sarah Fayolle, chargée de campagne Transports à Greenpeace France.
Se nourrir
- Sur le volet alimentation, Greenpeace demande :
l’introduction de deux menus végétariens obligatoires par semaine ainsi que d’une option végétarienne les autres jours dans l’ensemble de la restauration collective publique et privée; - l’introduction de chèques alimentaires fléchés vers les personnes précaires et incitant à consommer des fruits et légumes frais produits localement.
« Encore une fausse promesse : exit les chèques alimentaires ! L’un des rares points positifs que l’on avait retenus de la dernière entrevue entre le président et les membres de la Convention citoyenne en décembre est aujourd’hui absent du texte. Quant aux menus végétariens pour la restauration collective, le projet de loi [6] reprend la formule de l’expérimentation obligatoire qui a fait ses preuves dans les cantines ces deux dernières années mais la rend facultative. C’est donc un pas en arrière », déplore Laure Ducos, chargée de campagne Agriculture pour Greenpeace France.
Droit environnemental
Greenpeace soutient la création de nouveaux délits, mais demande :
- que le délit de pollution permette de réprimer les pollutions non intentionnelles des industriels, faute de quoi il serait quasi inutilisable en pratique (article 64),
- que le délit de mise en danger de l’environnement ne fasse pas peser une charge de la preuve trop lourde sur les victimes : exiger la preuve d’un risque immédiat résultant de la violation d’une obligation de sécurité risque de limiter fortement la caractérisation de ce délit (article 63),
- que les contrôles et les sanctions soient renforcés vis-à-vis des manquements aux règles de sûreté et de sécurité en amont d’une éventuelle pollution, plutôt que simplement vis-à-vis des conséquences des manquements des industriels.
« Il est urgent de renforcer l’arsenal répressif des atteintes environnementales. Créer de nouveaux délits est nécessaire, mais uniquement à condition qu’ils puissent être réellement utilisés par les juridictions pour réprimer les atteintes et intervenir en prévention. Par ailleurs, on ne peut plus se contenter de réparer les conséquences ; il faut s’atteler à incriminer les causes pour un effet réellement dissuasif, notamment en renforçant les contrôles administratifs sous une autorité indépendante, capable de sanctionner réellement et avant qu’il ne soit trop tard. Enfin, le projet de loi fait l’impasse sur le secteur industriel nucléaire, qui est pourtant le plus à risque pour l’environnement. Une répression par anticipation sur les risques nucléaires est nécessaire pour éviter les dommages environnementaux les plus graves », commente Laura Monnier, juriste à Greenpeace France.
[1] Mercredi 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État pour inaction climatique dans le cadre de l’Affaire du Siècle. Suite à cette décision historique, le tribunal a rouvert l’instruction pour deux mois afin de permettre à l’État et aux ONG d’échanger de nouveaux arguments. Ensuite, la justice statuera sur la façon dont l’État doit s’y prendre pour mettre fin à ses actions illégales.
[2] Selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans un avis du 27 janvier, le projet de loi ne permettra pas d’atteindre les objectifs fixés.
Par ailleurs, le Conseil national de la Transition écologique a rendu un avis dans lequel il précise : « Au regard de l’étude d’impact, certains membres s’inquiètent de la baisse insuffisante des émissions de gaz à effet de serre (GES) induites par cette loi et les politiques actuelles vis-à-vis de l’objectif de réduction de 40% en 2030 par rapport à 1990 et du respect des budgets carbone. Ces préoccupations sont renforcées par le nouvel objectif climatique européen de réduction des émissions de -55% ».
[3] En avril 2020, le gouvernement a modifié la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et révisé à la baisse l’objectif initial afin d’être dans les clous.
[4] Durant sa campagne électorale, Emmanuel Macron s’est engagé, dans son programme, à rénover « la moitié des logements-passoires dès 2022 » et à interdire « les passoires énergétiques » à la location « à compter de 2025 ».
[5] Le 21 janvier dernier, Greenpeace a publié un rapport intitulé Aviation : empêcher le redécollage des vols courts pour exposer l’aberration climatique que ces vols représentent.
[6] Le projet de loi propose une expérimentation avec un choix végétarien sur la base du volontariat à partir de septembre 2021.