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Le secteur public, soutien du marché immobilier des bureaux d’Ile-de-France

Après celles consacrées à la finance, à l’audit et aux avocats, Knight Frank poursuit sa série d’études dédiées aux grands utilisateurs de bureaux et se penche cette fois sur le secteur public, acteur majeur du marché immobilier tertiaire francilien.

Avec l’épidémie de Covid-19, les bureaux conservent un rôle stratégique pour le secteur public, entre recherche d’économies, réduction de l’empreinte énergétique du parc et adaptation des espaces aux nouveaux modes de travail. Dans ce contexte, et comme constaté lors de précédents chocs économiques, le secteur public pourrait jouer un rôle d’amortisseur de la crise sanitaire, à l’heure où celle-ci réduit fortement la demande de bureaux du secteur privé.

Le secteur public, deuxième plus gros consommateur de surfaces de bureaux en Ile-de-France

Le secteur public est l’un des grands acteurs du marché des bureaux d’Ile-de-France en raison de la taille de son patrimoine et de la diversité de ses types d’utilisateurs (administrations centrales, collectivités territoriales, entreprises publiques, etc.). « Le secteur public se distingue chaque année par la prise à bail ou le développement en compte-propre de grandes surfaces de bureaux, au point de représenter une part conséquente de l’activité locative en région parisienne, derrière les entreprises de l’industrie-distribution mais devant d’autres activités importantes comme la banque-assurance. Ainsi, le secteur public compte en moyenne pour près de 13 % des surfaces de bureaux de plus de 5 000 m² placées depuis 2000 en Île-de-France, avec un pic à 29 % en 2012 grâce à quelques grandes opérations comme le regroupement du ministère de la Défense sur les 135 000 m² du site Balard dans le 15e arrondissement » indique David Bourla, Directeur des Etudes chez Knight Frank France. Ce projet de bureaux, le plus important en taille du secteur public depuis vingt ans, est aussi le plus grand mouvement enregistré tous secteurs d’activité confondus devant ceux de Total (125 000 m² pris à bail dans « The Link » à La Défense en 2020) et SFR (124 000 m² à Saint-Denis en 2011).

Cette opération et d’autres grands projets expliquent la part élevée de la fonction publique d’État sur l’ensemble des surfaces de bureaux consommées en Île-de-France depuis 2000 (46 % des volumes placés supérieurs à 5 000 m², contre moins de 20 % pour les administrations publiques territoriales ou sociales). Du côté des entreprises publiques détenues à 100 % par l’État, c’est la SNCF qui arrive en tête avec 280 000 m² consommés sur le segment des surfaces de plus de 5 000 m² entre 2000 et 2020, loin devant France Télévisions et la RATP. Si l’on intègre les entreprises dont l’État détient une part majoritaire, EDF vient largement en tête avec plus de 370 000 m² consommés sur la période, ce qui la place en sixième position des utilisateurs de bureaux les plus actifs d’Île-de-France, privés et publics confondus, derrière BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole, Orange et la Société Générale.

Paris reste une place forte de l’administration

Le secteur public est depuis toujours un acteur majeur du marché des bureaux dans la capitale, ce qui s’explique par le caractère très centralisé de l’État français et l’implantation à Paris des principaux lieux de pouvoir. Historiquement concentrés dans le cœur de la capitale, les emplois publics ont connu un mouvement progressif de déconcentration au profit d’arrondissements plus excentrés. « Coïncidant avec l’émergence de la politique immobilière de l’État, la tendance à la déconcentration des emplois publics s’est accélérée à partir du début des années 2000 puis a gagné en vigueur au début des années 2010, le secteur public privilégiant notamment de grandes opérations d’aménagement situées aux portes de la capitale pour y implanter leurs bureaux. Ces nouveaux quartiers disposaient en effet de grandes surfaces neuves et efficientes, bien reliées aux transports et au coût modéré, tout en permettant à leurs utilisateurs de conserver une adresse parisienne » explique David Bourla.

Cette accélération s’est traduite par une augmentation de la part de Paris intra-muros dans les surfaces de bureaux de plus de 5 000 m² consommées par le secteur public en Île-de-France, passée de 27 % sur la période 2000-2009 à 46 % entre 2010 et 2019 en raison, notamment, de très grands mouvements (ministère de la Défense à Balard dans le 15e, ministère de la Justice dans le 19e, ministère de l’Intérieur dans « Le Lumière », Paris 12e). Dans le même temps, plusieurs transactions de moindre envergure ont été recensées dans le 13e, ce qui a notamment permis à la Ville de Paris de consolider son pôle administratif dans plusieurs quartiers de cet arrondissement.

La Seine-Saint-Denis, principal secteur de report en périphérie

Si la tendance y est plus récente qu’à Paris, le secteur public constitue aussi un acteur central des marchés immobiliers tertiaires de périphérie. Certaines années, celui-ci a même concentré la majorité de l’activité locative en 1ère couronne Est (2005, 2016) et en 1ère couronne Nord (2009, 2017). « Cible majeure des utilisateurs de bureaux du secteur public, le Nord[1]a concentré 21 % des mètres carrés de bureaux consommés par ces acteurs en Île-de-France (hors Paris) entre 2000 et 2009, puis 43 % entre 2010 et 2020. Cette hausse est le résultat de la signature de 17 transactions supérieures à 5 000 m² sur la période, parmi lesquelles le nouveau siège du Conseil régional d’Île-de-France à Saint-Ouen ou celui de la Société du Grand Paris à Saint-Denis. Les entreprises publiques y sont également très présentes, comme la SNCF à Saint-Denis » poursuit David Bourla.

La possibilité de disposer de grandes surfaces de bureaux modernes et peu onéreuses est un critère essentiel de localisation, mais n’est pas pour autant la seule motivation des départs de Paris vers la périphérie. Aux facteurs économiques s’ajoutent d’autres critères importants, certaines institutions privilégiant par exemple les secteurs de 1ère couronne dans un souci de proximité avec les administrés. L’État et certaines collectivités jouent également un rôle d’aménageur en favorisant la relocalisation de leurs services dans des zones urbaines en plein développement, pour participer au rééquilibrage de la région dont les richesses et les fonctions à haute valeur ajoutée sont historiquement concentrées à Paris et dans l’Ouest.

Objectif rationalisation…mais pas seulement

Dans un contexte dominé depuis le milieu des années 2000 par une redéfinition de l’État locataire, les prises à bail du secteur public reflètent l’engagement des différents acteurs publics dans une démarche de rationalisation de leurs bureaux. Ainsi, le loyer payé par les administrations et les entreprises publiques en Île-de-France depuis 2000 (sur des surfaces > 5 000 m²) atteint en moyenne 344 €/m²/an, soit une valeur inférieure de près de 50 €/m² à celle enregistrée sur la période tous secteurs d’activité confondus. Ce chiffre varie fortement selon le secteur géographique. À Paris, où la valeur est tirée à la baisse par les grandes prises à bail réalisées dans des quartiers excentrés, la moyenne est de 426 €/m²/an contre plus de 540 €/m² tous secteurs d’activité confondus. Hors de Paris, la valeur locative moyenne des prises à bail du secteur public est de 306 €/m²/an, niveau là encore inférieur à la moyenne de marché (340 €/m²).

Le rôle moteur joué par le secteur public sur le marché des bureaux est très lié à la transformation par l’État de sa stratégie immobilière. Celle-ci s’est peu à peu structurée à partir du début des années 2000, l’État prenant acte de la nécessité de mieux valoriser son patrimoine et de maîtriser ses dépenses au travers notamment d’une révision des critères d’implantation des bureaux de l’administration, guidée par la rationalisation des surfaces et le paiement de loyers moins onéreux. Si ces motivations restent importantes, d’autres prennent une place croissante dans les choix immobiliers du secteur public. Ainsi, la réduction de la facture énergétique d’un parc très énergivore devient une ambition majeure. Le secteur public a, en la matière, un devoir d’exemplarité. Le choix de territoires en plein développement pour y implanter de nouveaux bureaux témoigne aussi de son rôle clé d’aménageur. Enfin, l’administration intensifie ses efforts en matière d’adaptation des espaces aux nouveaux modes de travail.

Quelles perspectives pour les bureaux du secteur public ?

« Avec l’épidémie de Covid-19, la forte pression s’exerçant sur les recettes des administrations et de grandes entreprises publiques renforcera l’objectif de maîtrise des coûts immobiliers. Cela dit, la crise sanitaire devrait aussi accélérer l’adaptation des bureaux aux nouveaux modes de travail, sur fond de forte progression du télétravail et de digitalisation croissante des métiers » indique David Bourla. Elle confortera également les ambitions du secteur public en matière de développement durable, comme vient du reste de l’illustrer la décision du gouvernement de dédier une partie de son plan de relance à la rénovation énergétique des bâtiments publics. « Interrogeant les capacités d’intervention et l’efficacité des services publics, la crise sanitaire pourrait avoir d’autres conséquences, qui ne seraient pas sans effet sur l’immobilier : celle de mettre sur pause les plans de réduction d’effectifs de l’administration, mais aussi annoncer un nouvel acte de la décentralisation passant notamment par la relocalisation d’agents dans une logique de proximité avec les administrés » poursuit David Bourla. 

Dans ce contexte, l’immobilier conservera un rôle stratégique pour le secteur public, lequel devrait du même coup rester un acteur majeur du marché des bureaux. D’ailleurs, plusieurs réflexions sont en cours concernant de grands projets tertiaires en région parisienne. Comme constaté lors de précédents chocs économiques, le secteur public pourrait ainsi jouer un rôle d’amortisseur de la crise sanitaire, à l’heure où celle-ci réduit fortement la demande de bureaux du secteur privé. « Les nouvelles opérations de bureaux du secteur public interviendront dans un contexte de marché plus favorable aux utilisateurs en raison de l’épidémie de Covid-19, en particulier dans des secteurs tertiaires de première couronne où la hausse annoncée des livraisons d’immeubles offrira plus de choix d’implantation et fera pression sur les valeurs locatives. Certains marchés, au nord de la région notamment, bénéficieront aussi des investissements massifs consentis dans le cadre des programmes liés au Grand Paris et à l’organisation des Jeux Olympiques de 2024, qui amélioreront l’accessibilité des territoires et revaloriseront l’environnement immédiat des quartiers de gare » conclut David Bourla.

[1]Secteur de marché couvrant neuf communes, toutes situées en Seine-Saint-Denis à l’exception de Clichy.