Près de 465 000 m² de bureaux ont été placés en Île-de-France au 1er trimestre 2020 contre 538 000 m² sur l’ensemble du 1er trimestre 2019 (- 14 %). Nul ne peut savoir quel aurait été le niveau des volumes commercialisés si la crise sanitaire n’avait pas éclaté. Cela dit, la baisse du marché locatif avait été amorcée avant la propagation du Covid-19, et ce dès 2019. Comme celui du 1er trimestre 2020, le résultat du 1er trimestre 2019 était ainsi nettement inférieur à celui des 1ers trimestres 2017 (611 000 m²) et 2018 (747 000 m²).
La baisse observée en 2019 s’est donc accentuée au début de 2020, en lien avec un nombre encore plus réduit de transactions > 5 000 m² (9 seulement en 2020 contre 21 au 1er trimestre 2018 et 14 au 1er trimestre 2019). Au 1er trimestre 2020, le volume des grandes transactions chute de 46 % sur un an et de 78 % par rapport au 1er trimestre 2018. Contrastant avec la forte baisse enregistrée sur le segment des grandes opérations, celui des petites et moyennes transactions a plutôt bien résisté avec un volume en léger retrait de 2 % d’une année sur l’autre, confirmant que les fondamentaux du marché francilien des bureaux étaient donc plutôt bons avant le début de la crise sanitaire. Toutefois, ce créneau pourrait être plus impacté que celui des grandes transactions en raison de l’impact attendu du Covid-19 sur l’activité des TPE et des PME.
L’analyse de la demande placée par secteur géographique confirme la bonne résistance du marché parisien. En dépit d’une offre disponible au plus bas, la demande placée de bureaux dans Paris intra-muros atteint un volume proche de celui de l’an passé (un peu moins de 200 000 m²). Sa part est quasi identique à celle enregistrée il y a un an (près de 40 % des surfaces commercialisées en région parisienne). À La Défense, la demande placée enregistre une hausse de 30 % sur un an. Les autres secteurs tertiaires de région parisienne sont quasiment tous orientés à la baisse. Le recul est particulièrement important dans le Croissant Ouest qui, plus encore que l’an passé, souffre du manque de grandes et très grandes opérations. Quant à l’analyse de la demande placée par secteur d’activité, elle est à relativiser compte tenu du nombre limité de grandes transactions, qui explique notamment la baisse de la part des deux secteurs habituellement dominants : l’industrie-distribution et la banque-assurance. Les opérateurs de coworking sont quant à eux restés plutôt dynamiques, avec près de 30 000 m² loués depuis le début de 2020 contre 38 000 m² au 1er trimestre 2019. Deux opérateurs concentrent une large part des m² de bureaux pris à bail : Morning Coworking qui a loué 6 000 m² dans l’« Hôtel de la Marine » à Paris, et Deskeo qui, après avoir loué une trentaine de petites ou moyennes surfaces en 2019 en a d’ores et déjà pris à bail une dizaine depuis janvier.
Après son dernier point haut de 2015 (4,01 millions de m²), le volume de l’offre immédiate en région parisienne n’avait cessé de diminuer pour atteindre 2,37 millions de m² à la fin de 2019. Selon nos premières estimations, le volume de l’offre est reparti à la hausse au 1er trimestre 2020. Avec un stock de bureaux immédiatement disponibles estimé à 2,9 millions de m², celui-ci est stable sur un an mais progresse de 5 % en un trimestre. Le taux de vacance passe ainsi de 5 % à la fin de 2019 à 5,3 % à fin mars 2020. Dans le QCA, il reste inférieur à 2 %.
COVID-19 : QUELLES CONSEQUENCES SUR LE MARCHE DES BUREAUX D’ILE-DE-FRANCE ?
Activité locative : une question de temps
La mise en place de restrictions sévères destinées à contenir la pandémie a bloqué le marché des bureaux d’Ile-de-France. Dans leur grande majorité, les utilisateurs ont ajourné leurs décisions et remis à plus tard la concrétisation de leurs projets immobiliers. Il s’agit là d’une première différence avec la situation observée lors des précédentes crises, dont les effets n’avaient pas mené à un arrêt aussi brusque de l’activité. Sans certitude sur la durée de la période de confinement, difficile de savoir quand elle redémarrera. De fait, après la fin des mesures de restriction, il faudra du temps pour restaurer la confiance et redonner de la visibilité aux entreprises ce qui pourrait retarder d’autant la reprise.
La chute des volumes placés sera de toute évidence importante en raison de l’arrêt de l’activité et d’une reprise qui, si l’on reste optimiste, ne devrait survenir qu’à la fin du 2e trimestre. Avec un acquis de demande placée atteignant moins de 500 000 m² au 1er trimestre, le volume consommé sur l’ensemble de 2020 sera donc nettement inférieur à la moyenne décennale en Île-de-France (2,3 millions de m²) et, au mieux, proche des deux points bas des deux dernières décennies (1,48 million en 2002, 1,75 million en 2013). Le comportement des grands utilisateurs sera probablement décisif. Si la faiblesse du segment des grandes surfaces, observée depuis déjà quelques mois, s’accentue, elle amplifiera la baisse des volumes commercialisés. Si ce créneau de marché résiste, cela permettrait en revanche de soutenir l’activité. Cette hypothèse, plutôt optimiste dans les conditions actuelles de marché, peut s’appuyer sur plusieurs éléments. Ainsi, la puissance des grands groupes et la diversité des secteurs d’activité présents en région parisienne a toujours assuré au marché des bureaux d’Ile-de-France une certaine dynamique et des mouvements récurrents, même en période de crise. De fait, pour les grands groupes, crise économique, ralentissement de l’activité et recherche d’économies ne signifient pas nécessairement absence de mouvements immobiliers. Après avoir perdu un peu d’importance au profit des problématiques d’attraction des talents et de bien-être des salariés, les projets de rationalisation pourraient ainsi redevenir un moteur de l’activité locative.
Les grands utilisateurs désireux de rationaliser leur immobilier seront d’autant plus enclin à déménager que l’offre augmentera et que les loyers seront corrigés à la baisse. La conjoncture pourrait donc devenir plus favorable pour certains pôles de périphérie, en particulier dans les secteurs traditionnels de report de l’Ouest ou de la 1ère couronne (Saint-Ouen, Saint-Denis), bien reliés aux transports et traditionnellement appréciés des grands comptes.
Relations bailleurs – locataires : rééquilibrage attendu
Selon l’article 11 de la loi d’urgence du 23 mars 2020, le gouvernement peut, par voie d’ordonnance, reporter intégralement ou étaler le paiement des loyers des micro-entreprises. Pour les autres, le sujet du paiement des loyers sera réglé au cas par cas avec les bailleurs. La situation paraît aujourd’hui plus claire pour les commerces, dont l’activité s’est, hormis certains secteurs (alimentaire, etc.), subitement arrêtée du fait des fermetures liées à l’urgence sanitaire. Tel n’est pas le cas des bureaux : si la plupart des employés sont aujourd’hui confinés à leur domicile, le travail à distance permet d’assurer la continuité, au moins partielle, de l’activité. Au-delà de la question de l’aménagement des loyers, la crise du Covid-19 permettra très probablement un rééquilibrage des relations entre bailleurs et locataires. Ce sont les premiers qui avaient jusqu’à présent la main sur le marché des bureaux d’Ile-de-France, en particulier au sein des secteurs les plus tendus comme Paris. Ailleurs, l’évolution de ces relations dépendra en grande partie de l’état des disponibilités et de l’ampleur de la remontée des taux de vacance.
Offre future : entre suroffre et normalisation
Plus d’1,5 million de m² de bureaux étaient en cours de chantier en Île-de-France au début de 2020. Ce niveau historiquement élevé laissait présager, avant même le début de la crise, une hausse générale de l’offre. Avec la crise, la remontée des taux de vacance devrait s’amplifier, même si l’arrêt des chantiers lié aux contraintes sanitaires aura pour effet de reporter la livraison des opérations en cours et de décaler d’autant l’arrivée sur le marché des nouvelles offres. Par ailleurs, la situation restera très contrastée selon les différents pôles tertiaires franciliens. Dans Paris, la part élevée des pré-commercialisations (59 % des m² actuellement en chantier) devrait ainsi permettre de compenser la baisse de la demande et contenir la progression de la vacance. L’augmentation de l’offre devrait être bien plus nette dans d’autres secteurs, comme La Défense et certains marchés de 1ère Couronne. A La Défense, la remontée de la vacance était attendue depuis plusieurs mois : 370 000 m² de bureaux en chantier y sont disponibles, à comparer à une consommation moyenne de 95 000 m² sur les cinq dernières années (surfaces > 5 000 m²). Enfin, le déséquilibre devrait également s’accentuer dans le Nord, où seuls 10 % des m² en chantier ont été pré-loués.
Deux éléments pourraient contenir la hausse de l’offre. Malgré une baisse générale de la demande, les secteurs les plus offreurs pourraient bénéficier du report de grands utilisateurs à la recherche du meilleur rapport qualité-prix. Surtout, le coup d’arrêt porté à l’activité locative par la crise du Covid-19 devrait inciter les investisseurs à reporter ou ajourner les opérations qui étaient en attente de lancement, ce qui aura pour effet de limiter les livraisons potentiellement attendues en 2022 et au-delà, et d’amoindrir la pression baissière sur les loyers. En plus de la suspension des chantiers, l’ajournement de l’instruction et de la délivrance des autorisations d’urbanisme aura également des conséquences sur le planning des projets, le report du second tour des élections municipales ajoutant aussi à l’incertitude. Enfin, les projets de transport vont prendre du retard, ce qui impactera les grands secteurs de développement du Grand Paris Express.
Valeurs locatives : fin de la croissance
L’évolution des valeurs locatives est sans aucun doute l’une des plus grandes incertitudes du moment. En tout état de cause, le manque de visibilité demeurera tant que les mesures de restriction ne seront pas levées. Mais le flou pourrait se prolonger même après cela, favorisant ainsi l’attentisme des utilisateurs et continuant de peser sur l’activité locative. Comme pour l’offre et l’évolution des taux de vacance, la situation sera très contrastée selon les différents marchés. Contrairement à la plupart des grands pôles tertiaires franciliens, la correction des valeurs était déjà en œuvre à La Défense avant que ne survienne la crise du Covid-19. La baisse pourrait désormais s’accentuer en raison de la nette hausse des livraisons et des libérations. En revanche, la baisse pourrait être limitée à Paris en raison du faible nombre d’opérations en chantier disponibles, d’un socle d’utilisateurs captifs dans des secteurs à très forte valeur ajoutée (luxe, conseil, finance, etc.) et de tendances structurelles favorables à la capitale.
Modes et espaces de travail : évolution plutôt que révolution
La crise sanitaire a bousculé les modes de travail avec l’adoption généralisée du télétravail. Les grandes grèves de décembre 2019 avaient à cet égard constitué un test à grande échelle. Une fois la crise passée, plus rien ne sera comme avant. Pour autant, la lame de fond créée par la crise sanitaire ne remettra pas en question la pertinence des immeubles de bureaux. Bien au contraire, la période de confinement convaincra les managers du bien-fondé de ces espaces et de la nécessité pour les collaborateurs de maintenir un contact physique. C’est donc un scénario médian que nous privilégions entre progression du télétravail d’une part, et consolidation de la place des bureaux comme espaces de sociabilité favorisant le bien-être, la productivité et l’innovation des entreprises d’autre part. Une parallèle peut être fait avec les commerces : de même que le boom du e-commerce a conduit nombre d’enseignes à réduire leur réseau de boutiques au profit des magasins les mieux placés pour optimiser l’expérience client, certaines entreprises pourraient réduire les surfaces qu’elles occupent au profit de bureaux « flagships », aux aménagements plus soignés et situés dans les quartiers les plus prisés. Leur coût plus élevé serait ainsi compensé par la diminution des surfaces occupées, mais aussi par les gains générés en matière de rétention des meilleurs profils, d’amélioration de l’image de l’entreprise, etc.
Par ailleurs, la crise sanitaire majeure qui frappe aujourd’hui le monde pourrait se répéter, et utilisateurs comme bailleurs seront plus attentifs à la gestion des risques, qu’ils soient sanitaires ou environnementaux. Dans ce contexte, la tendance des entreprises à regrouper leurs effectifs au sein de grandes ou très grandes surfaces pourrait-elle s’inverser au profit de stratégies multisites ? Rien n’est moins sûr, les utilisateurs continuant de privilégier la collaboration entre équipes tout en étant plus attentifs à la maîtrise des coûts immobiliers. En revanche, les espaces de travail évolueront pour assurer la sécurité des collaborateurs et la continuité de l’activité en cas de nouveau choc.
Zoom sur le coworking : dynamique freinée
La première conséquence évidente du Covid-19 sera la diminution des surfaces prises à bail par les opérateurs de coworking. Un ralentissement était déjà attendu avant le déclenchement de la crise sanitaire en raison de l’arrêt de l’expansion de WeWork, dont les prises à bail avaient totalisé 50 000 m² sur le seul 1er semestre 2019. Toutefois, la fin de la période de confinement s’accompagnera-t-elle d’une reprise, même moins marquée, de la croissance du coworking ? Le modèle pourrait de fait profiter du manque de visibilité des entreprises, qui auraient ainsi tendance à recourir au coworking car plus réticents à s’engager sur des baux fermes. Néanmoins, le coworking pourrait pâtir des difficultés économiques des entrepreneurs et des petites entreprises, socle traditionnel de leur activité. Quant aux grands groupes, ils pourraient être tentés de rapatrier les équipes installées au sein d’espaces de coworking pour alléger leurs coûts immobiliers à court terme et peut-être pouvoir mieux contrôler la sécurité de leurs collaborateurs tant que la crise sanitaire n’aura pas été définitivement maîtrisée. S’ajoute à cela la problématique de la non-perception des loyers par les opérateurs de coworking. Dans ce contexte, certains seraient contraints de mettre un terme aux négociations en cours, voire de libérer des surfaces. A plus long terme, nous privilégions toutefois un scénario médian, entre poursuite du succès du coworking en raison de tendances structurellement favorables d’une part, et concentration plus marquée du secteur au profit des opérateurs les plus solides d’autre part.