C’est ce que suggère l’étude de chercheurs de l’Ifremer, menée en collaboration avec des collègues de l’Université de Columbia, sur l’avant-dernière période glaciaire. Elle vient d’être publiée dans la revue Geology.
La découverte a été faite grâce à une carotte de sédiments prélevée dans l’Atlantique nord-est au large de Brest. Celle-ci contient des sédiments datant de 154 à 158 milliers d’années, déposés lors de l’avant-dernière période glaciaire qui a sévit il y a 130 à 190 milliers d’années. Le nord de l’Europe était alors recouvert d’une imposante calotte glaciaire et Homo Sapiens ne comptait qu’une centaine de milliers d’individus.
« À l’intérieur de cette carotte, nous avons retrouvé de graviers caractéristiques d’une période très froide dite de Heinrich, explique Samuel Toucanne, géologue au centre Ifremer de Brest. Charriés par les icebergs, ces morceaux de roche proviennent de l’ensemble des glaciers qui entouraient alors l’Atlantique nord, des Etats-Unis jusqu’aux îles britanniques ».
Mais l’équipe a également étudié de plus près les sédiments plus fins accumulés autour des graviers. «En analysant les isotopes en néodyme de ces sédiments fins, nous avons découvert qu’ils ne pouvaient provenir que d’Europe de l’est, au niveau du Danemark, de l’Allemagne et de la Pologne, précise Samuel Toucanne. Or à cette époque, une calotte de glace recouvrait cette zone terrestre. Sans contact avec la mer, elle n’a pas pu produire d’icebergs ». Comment alors ces sédiments fins ont-ils été transportés jusqu’au large de Brest ?
« La seule explication possible est que la calotte glaciaire qui recouvrait l’Europe du nord ait en partie fondue, l’eau de fonte entrainant via le fleuve Manche les sédiments jusque-là », propose Samuel Toucanne.
Des étés plus chauds que supposés
Ce mélange de dépôts sédimentaires témoins pour les uns d’une période particulièrement froide, et pour les autres d’un redoux, a conduit les chercheurs à élaborer une nouvelle hypothèse : « nous suggérons, contrairement à ce que l’on pensait, que même lors des périodes les plus froides des périodes glaciaires, il existait une forte saisonnalité, avec des hivers très froids et des étés courts mais suffisamment chauds sur le continent pour faire fondre des surfaces importantes de la calotte glaciaire ».
Une débâcle massive d’icebergs enfin expliquée ?
Cette hypothèse expliquerait également les débâcles massives d’icebergs enregistrées lors de ces périodes très froides dites de Heinrich et qui restaient jusque-là énigmatiques. « L’apport massif d’eau douce en provenance du glacier terrestre, lors des étés, aurait ralenti la circulation océanique globale et limité le mélange des eaux, explique le scientifique. La couche d’eau comprise entre 0 et 1500 mètres de profondeur se serait alors réchauffée. Sa propagation vers le nord aurait été suffisante pour déclencher d’une part la fonte des épaisses langues glaciaires qui baignent dans cette tranche d’eau, et d’autre part produire les icebergs à l’origine du dépôt des graviers retrouvés jusque dans l’Atlantique nord-est.
Une théorie qui force à revoir notre compréhension des climats passés
Si l’origine des grandes périodes de glaciation est liée à des cycles naturels très longs (de 20 000 à 400 000 ans), les changements climatiques ici étudiés portent sur des temps très courts. « On ne peut donc pas expliquer cette « saisonnalité » par des variations de l’insolation de la Terre dues à des modifications de l’orbite ou de l’axe de la Terre comme pour les glaciations », explique Samuel Toucanne. Leur origine est encore en débat au sein de la communauté scientifique.
Néanmoins, « cette nouvelle hypothèse invite à revoir certaines études sur les paléoclimats, car l’impact de la saisonnalité dans les périodes glaciaires y est sous-estimé, préconise Samuel Toucanne. Cela nous aidera à affiner notre compréhension des relations entre les calottes glaciaires, l’atmosphère et les océans ». Et d’ajouter : « la compréhension de ces phénomènes passés est essentielle pour nous aider à mieux appréhender ceux à venir dans un contexte de changement climatique ».
Les résultats de leur recherche ont été publiés dans le numéro de juillet de la revue Geology.