Une autorisation qui n’aurait jamais dû être accordée
Dès 2005, l’ASN a alerté Areva NP (maintenant Framatome) et EDF des mauvaises pratiques qui régnaient à l’usine de Creusot Forges. Ignorant ces avertissements, Areva NP y a quand même fait fabriquer des éléments importants de la cuve destinée à l’EPR de Flamanville. Comme l’atteste la correspondance entre Areva et l’ASN, l’industriel a passé outre les remarques de cette dernière sur les processus de fabrication de cet équipement. Or, une fois la cuve irréversiblement installée dans le réacteur, Areva a averti l’ASN qu’elle comportait un défaut remettant en question sa solidité !
Après avoir qualifié cette anomalie de « très sérieuse », l’ASN a pourtant proposé à Areva d’introduire une demande de dérogation. Malgré les protestations de nombreux citoyens, l’Autorité de sûreté a finalement rendu un avis favorable à l’utilisation de cette cuve. Puis, le 10 octobre 2018, elle a délivré une autorisation sous réserve du changement du couvercle en 2024 et de mesures de surveillance supplémentaires.
Pour nos associations, cette autorisation n’aurait jamais dû être délivrée. Du fait des mauvais procédés de fabrication, cette cuve ne remplit pas les caractéristiques de sûreté initialement exigées. La rupture de la cuve, qui aurait dû être « exclue », ne peut plus qu’être « prévenue » par des mesures de surveillance qui ne compenseront jamais ses défauts. Les marges de sûreté nécessaires pour faire face aux imprévus et au vieillissement d’un réacteur censé fonctionner 60 ans sont irrémédiablement entamées. Comment ne pas être inquiétés par les propos de Pierre-Franck Chevet (ancien Président de l’ASN), qui affirmait le 30 novembre 2017 devant le Sénat : « Quand on fait les calculs, ça passe encore, pour faire simple, mais de manière relativement limite » [1] ?
Une inquiétante logique dérogatoire au profit d’industriels délinquants
Sur le principe même, l’octroi de ce feu vert est inacceptable, l’ASN ayant été mise devant le fait accompli des mauvaises pratiques d’Areva, qui n’a pas tenu compte de ses avertissements. Il est scandaleux qu’un industriel puisse obtenir une dérogation à des règles auxquelles il a délibérément cherché à se soustraire – qui plus est sur la base de textes qui ne devraient pas s’appliquer ici [2].
L’ASN a-t-elle agi par complaisance envers EDF ? A-t-elle subi des pressions des milieux industriels, afin de ne pas menacer le sauvetage de la filière nucléaire ni la mise en service d’un réacteur présenté comme la clé de voûte de la relance du nucléaire français ? Était-elle dotée de moyens insuffisants pour pouvoir rester intransigeante et indépendante ?
Quoi qu’il en soit, cette autorisation ouvre la voie à une dangereuse logique dérogatoire où l’ASN finira toujours par céder devant des exploitants qui la mettront devant le fait accompli. Cette logique dérogatoire est déjà à l’œuvre à Fessenheim, où EDF a été dispensée de travaux qu’elle n’a jamais voulu réaliser, qui avaient pourtant été exigés par l’ASN six ans auparavant. L’ASN fera-t-elle également preuve de tolérance envers les autres malfaçons qui affectent l’EPR de Flamanville, notamment les soudures défectueuses ?
Nos associations attendent du Conseil d’État qu’il se penche sur cette affaire en toute indépendance. Il s’agit non seulement d’empêcher la mise en service d’une cuve défectueuse, mais de prévenir une tolérance croissante à une dangereuse dégradation de la sûreté !
Nos associations rappellent également que les défauts de la cuve de l’EPR ne constituent qu’une des nombreuses facettes d’un réacteur dangereux, hors de prix et inutile, qui ne doit jamais entrer en service.
Au vu des problèmes rencontrés à Flamanville, il est aberrant que le gouvernement continue de laisser la porte ouverte à de nouveaux réacteurs, avec une éventuelle décision sur de nouveaux projets en 2021. L’avenir est à la transition énergétique vers les économies d’énergie et les énergies renouvelables, pas à maintenir à bout de bras une technologie dépassée qui menace toute l’Europe !
[1] Voir la vidéo. Séquence à partir de 10:54:06
[2] L’ASN se réfère au décret du 30 décembre 2015, qui introduit la possibilité de dérogations pour des équipements ne satisfaisant pas à l’ensemble des exigences de sûreté. Or ce texte ne peut pas s’appliquer de manière rétroactive à des pièces qui ont été fabriquées avant sa publication. En outre, le Conseil d’État lui-même a précisé qu’il ne pouvait s’appliquer que si les industriels « rencontraient une difficulté ». Or les défauts en question ne résultent pas de facteurs extérieurs, mais de la mauvaise volonté de l’industriel lui-même !
En 2017, la Commission Européenne avait conditionné son feu vert au versement par l’État d’une aide à Areva à l’octroi du feu vert pour la cuve de l’EPR de Flamanville.