Knight Frank décrypte les dernières tendances du marché immobilier des commerces
Le tourisme, soutien de poids
Les dépenses des ménages ont marqué le pas au 1er semestre 2018. Au 2nd semestre, la consommation devrait en revanche accélérer grâce à la hausse attendue du pouvoir d’achat. Ce scenario est entouré d’importantes incertitudes : à l’échelle nationale tout d’abord, l’impact sur la consommation de certaines mesures gouvernementales restant encore à mesurer (réforme de la taxe d’habitation, prélèvement à la source, etc.) ; à l’échelle internationale ensuite, du fait d’un environnement moins porteur et rendu plus incertain par l’accentuation des risques (Brexit, montée des populismes et des tensions protectionnistes, etc.). Habituellement sensible aux soubresauts de l’actualité mondiale, l’activité touristique pourrait en souffrir. Toutefois, après une année 2017 exceptionnelle, la fréquentation semble pour l’instant bien partie pour atteindre de nouveaux sommets en 2018. Celle-ci continue de progresser à Paris, avec des arrivées hôtelières en hausse de près de 5 % sur un an à la fin du mois de juillet du fait de la forte progression des visiteurs étrangers (+ 11,4 %, contre – 3,9 % pour les Français). Par ailleurs, le dynamisme des flux internationaux a permis aux aéroports de Paris d’établir un nouveau record aux mois de juillet-août, avec une hausse de 4,2 % sur un an du trafic passagers.
« La vigueur du tourisme profite bien sûr au marché des commerces parisien. Moteur de croissance pour les enseignes, l’essor du tourisme conforte en outre les stratégies très ciblées des investisseurs, dont l’appétit pour les emplacements les plus renommés et les plus fréquentés de la capitale ne se dément pas » indique Antoine Grignon, Directeur du département Commerces de Knight Frank.
Commerces de bouche, sportswear et cosmétiques ont le vent en poupe
Le tourisme international n’est pas le seul soutien du marché parisien des commerces. « La demande des enseignes est également alimentée par les dépenses des consommateurs locaux, notamment dans l’alimentation et la restauration. Leur dynamisme est attesté par la poursuite de l’expansion des spécialistes du bio, des formats de proximité de la grande distribution ou des enseignes de restauration rapide, comme Prêt à Manger qui a récemment ouvert avenue de l’Opéra et près de la Sorbonne » indique Antoine Salmon, Directeur du département Commerces locatif de Knight Frank. Observé dans d’autres métropoles européennes et françaises, le phénomène des « food halls » prend également de l’ampleur à Paris. Plusieurs projets émergent, constituant autant de locomotives à l’échelle d’un centre commercial ou d’un quartier. Ainsi « Beaupassage », ouvert fin août dans le 7e arrondissement, associe sur près de 6 000 m² plusieurs commerces de bouche haut de gamme signés par de grands noms de la gastronomie française, ainsi qu’un Carrefour City faisant une large place aux produits bio et vegan. Eataly, chaine de restauration et de vente de produits italiens, est également attendu, avec l’ouverture prévue en 2019 dans le Marais du premier flagship français de ce concept pointu de restauration, avant celle des 5 000 m² de « Food Society » au sein des « Ateliers Gaité », centre commercial en cours de rénovation qui réouvrira en 2020 près de la gare Montparnasse.
D’autres secteurs que l’alimentation et la restauration ont le vent en poupe, comme celui de la beauté et des cosmétiques, les marques haut de gamme essaimant ainsi au sein de plusieurs quartiers et artères prime (Lancôme sur les Champs-Elysées, L’Atelier Cologne dans le Marais, Serge Lutens rue Saint-Honoré, etc.). Surfant sur le boom de l’« athleisure »[1] et du sportswear, les enseignes de sport continuent également de mailler la capitale, des concepts dédiés aux sneakers (Footpatrol dans le Marais, Snipes près des Halles pour sa première boutique dans Paris, etc.) aux flagships plus généralistes, idéalement placés sur les meilleures artères commerçantes, à l’exemple de Nike et de son futur vaisseau amiral, attendu en 2019 au 79 avenue des Champs-Elysées. Autre géant du sport, Décathlon s’est aussi récemment distingué par l’ouverture au 104 boulevard Saint-Germain, dans le 6e arrondissement, d’un magasin au format « City », déjà testé rue du Commerce dans le 15e.
Les nouveaux formats régénèrent le commerce parisien
La grande variété des formats développés par la restauration, la beauté ou le sport participe de l’effervescence du marché parisien des commerces. Elle est aussi révélatrice des tests que mènent les enseignes pour répondre à l’essoufflement de certains formats traditionnels, délaissés par des consommateurs hyperconnectés et plus difficiles à fidéliser. « Cet essoufflement peut conduire les enseignes à accélérer leurs arbitrages, sur les axes secondaires comme sur de bonnes artères. Toutefois, les nouvelles attentes des consommateurs, alliées à la révolution digitale, offrent aussi de belles opportunités : opportunités pour de nouveaux acteurs de percer et d’accroître leur renommée, et opportunités pour les enseignes historiques de renouveler leur offre. Ces transformations ont aussi pour effet de régénérer le commerce de la capitale et de moderniser son parc de magasins » analyse Antoine Salmon.
Trois types de format impriment plus particulièrement leur marque dans les rues de la capitale :
Les concepts urbains d’enseignes solidement établies en périphérie, dont la production accompagne notamment l’expansion de grands acteurs de la décoration et de l’équipement de la maison. Après Leroy-Merlin à la Madeleine cet été et avant IKEA dans le même quartier l’an prochain, Boulanger poursuit par exemple son développement à Paris, avec la reprise d’anciens magasins Darty ou l’ouverture de corners au sein du BHV et des Galeries Lafayette – Boulanger privilégie ainsi un format en vogue dans le monde de la distribution : celui de l’association d’enseignes et des « shop-in-shops».
Les « boutiques de marques », qui sont toujours privilégiées par les cosmétiques ou le sport (Fusalp, Salomon, Rossignol, etc.), mais aussi par la bagagerie (Tumi, Samsonite, Bande à Part, etc.) et les produits « high-tech ». Samsung a ouvert son showroom en juillet sur les Champs-Elysées. Xiaomi, nouveau géant chinois de la téléphonie, de l’électronique et des objets connectés, doit prochainement y ouvrir une nouvelle boutique, après celles du boulevard de Sébastopol et du centre commercial Vélizy 2.
Les boutiques de pure-players du web: ces derniers pénètrent le champ du commerce physique ou continuent de s’y étendre afin de multiplier les points de contact avec les consommateurs. L’ouverture récente par AMPM, enseigne de décoration de La Redoute, d’un flagship de 550 m² au 49 rue Etienne Marcel en est un bon exemple. D’autres suivront, à commencer par l’inauguration rue Sainte-Croix de la Bretonnerie du premier magasin Tediber, pure-player des matelas, après les quelques pop-up stores ouverts l’an passé.
Les quartiers parisiens passés au crible
Les ouvertures les plus emblématiques continuent de se concentrer sur un nombre limité de pôles ou d’artères.
Sur la rive gauche, ce sont principalement les ensembles commerciaux qui font l’actualité, avec la confirmation de l’installation des Galeries Lafayette dans « Beaugrenelle » sur près de 8 000 m², le lancement des travaux de rénovation et d’extension du centre « Italie 2 » (« Italik »), et l’avancée des chantiers et de la commercialisation des « Ateliers Gaité » et des commerces de la gare Montparnasse.
C’est sur la rive droite que le marché des commerces de pied d’immeuble reste le plus animé. Dans le Marais, l’ouverture d’un nouveau magasin & Other Stories, enseigne du groupe H&M, au 76 bis rue Vieille-du-Temple marque une nouvelle étape de son expansion parisienne. La taille de ce nouveau flagship (900 m²) est assez inhabituelle dans un quartier contraint par le manque d’offres de grandes surfaces. Une autre arrivée de poids est attendue en 2019 : celle d’Eataly sur 2 400 m² de surface de vente, qui devrait démultiplier les flux rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. « Le succès du Marais s’inscrit dans celui, plus général, du cœur de la rive droite. L’ouverture de nouveaux flagships dans le Marais s’ajoute ainsi au regain d’intérêt pour le secteur Etienne Marcel / Place des Victoires, et aux transformations en cours rue de Rivoli, où le chantier titanesque de la Samaritaine se poursuit. C’est donc un resserrement des liens unissant les grandes polarités du cœur de la rive droite qui se dessine » explique Antoine Salmon. D’autres projets pourraient favoriser ce resserrement, comme ceux dédiés à l’art. Ainsi, après la Fondation Pinault dans la Bourse de Commerce, c’est la Fondation Cartier qui est maintenant annoncée au cœur de Paris, dans l’ancien « Louvre des Antiquaires ».
Les Champs-Elysées continuent quant à eux de prospérer. Près de 25 ouvertures et transactions ont été recensées sur l’avenue ces trois dernières années. Si le rythme semble avoir légèrement ralenti en 2018 – Samsung compte parmi les arrivées les plus récentes – de nombreuses ouvertures de flagships sont prévues en 2019 (Apple, Nike, Galeries Lafayette, Chanel, Lancôme, etc.). « Les opérations de restructuration sont nombreuses sur les Champs-Elysées. Plusieurs ont d’ores et déjà été absorbées, confortant le succès d’une avenue de plus en plus dédiée aux flagships et au positionnement toujours plus luxe. Rejoignant quelques grands noms du luxe, comme Louis Vuitton, Cartier ou Tiffany & Co, une marque prestigieuse vient ainsi de porter son choix sur les 2 000 m² du n°127 afin d’y ouvrir, au printemps 2019, un magasin des plus spectaculaires » annonce Antoine Salmon.
Une année dynamique pour le luxe
Le luxe est également actif rue Saint-Honoré, comme l’illustre l’ouverture récente par LVMH d’un magasin Pucci (pour une durée de 12 mois, et qui laissera place de manière définitive à Christian Louboutin), après le pop-up Dior ouvert l’an passé et toujours en activité. La rue est du reste la cible de la plupart des grands noms du secteur, comme le montre l’avancée des travaux des futurs flagships Chanel, Saint Laurent, Buccellati ou Graff. « Après plus de 25 ouvertures de boutiques de luxe recensées entre 2015 et 2017, 17 sont pour l’instant programmées en 2018 et 2019 rue Saint-Honoré. Ce chiffre représente un tiers de l’ensemble des ouvertures à venir dans la capitale, confirmant le succès de cette artère désormais bien établie dans la hiérarchie du luxe parisien » explique Antoine Salmon.
L’effervescence de la rue Saint-Honoré contribue directement à l’augmentation du nombre d’ouvertures de boutiques de luxe à Paris. Après les 26 recensées en 2017, une quarantaine sont ainsi prévues dans la capitale en 2018, dans un contexte particulièrement favorable au secteur (excellents résultats des grands groupes, essor du tourisme international, etc.). La répartition des ouvertures à venir souligne d’autres évolutions de la géographie du luxe parisien, même si la stabilité reste généralement de mise. Ainsi, Le Triangle d’or – dont le parc hôtelier haut de gamme continuera de se renforcer avec l’ouverture du futur hôtel Bulgari de l’avenue George V – reste privilégié par les marques les plus prestigieuses : les secteurs Montaigne et François 1er profiteront d’opportunités liées à de grandes opérations de restructuration (ex Ambassade du Canada, ex immeuble Europe 1), les libérations et les projets de développement de nouveaux flagships étant également à l’origine de la montée en gamme des Champs-Elysées. D’autres artères sont moins animées, comme la rue du Faubourg Saint-Honoré, dont le secteur prime se réduit de plus en plus à la portion comprise entre la Maison Hermès et la rue Royale. Enfin, l’expansion du luxe vers d’autres quartiers traditionnellement moins « huppés » – une tendance qui avait été observée entre 2010 et 2015 dans le Marais ou sur la rive gauche – ne semble plus pour l’instant d’actualité.
« Le bouillonnement du marché parisien du luxe ne se traduit pas par une hausse généralisée des valeurs locatives. Celles-ci peuvent ponctuellement augmenter sur un nombre restreint d’artères. A l’image de ce qu’il se passe sur d’autres segments de marché, les valeurs peuvent aussi accuser une pression à la baisse sur quelques axes du fait des stratégies de rationalisation des enseignes et de leurs exigences accrues de rentabilité » indique Antoine Salmon.
Investissement : l’année des rues commerçantes
Près de 600 millions d’euros ont été investis en commerces en France au 3e trimestre 2018, portant à 2,2 milliards les sommes engagées depuis le début de l’année. En hausse de 11 % par rapport à la même période en 2017, ce montant représente 14 % de l’activité du marché français de l’immobilier d’entreprise. « Si les volumes progressent, ils le doivent à la signature, au 2e trimestre, de la vente à Hines du futur Apple Store des Champs-Elysées. La polarisation de l’activité sur quelques opérations d’envergure est d’ailleurs l’une des grandes caractéristiques de cette année 2018, cinq transactions supérieures à 100 millions d’euros comptant à elles seules pour 48 % des volumes investis sur le marché des commerces » note Antoine Grignon.
Au 3e trimestre, la cession par Thor Equities du « 65 Croisette » à Cannes s’est ajoutée aux quatre grandes opérations du 1er semestre, confortant la domination des rues commerçantes. « Les actifs de pied d’immeuble restent privilégiés par les investisseurs. Sur les neuf premiers mois de 2018, les montants investis sur cette typologie d’actifs totalisent 1,25 milliard d’euros, soit 58 % de l’ensemble du marché français des commerces » poursuit Antoine Grignon. Les investisseurs continuent de cibler les artères les plus renommées. Outre La Croisette à Cannes, c’est la rue Saint-Honoré qui, à Paris, se distingue. Après l’acquisition récente par Generali de la nouvelle boutique Moschino, plusieurs autres opérations significatives y sont en cours de finalisation.
Les parcs d’activités commerciales représentent 26 % des sommes investies en commerces en France depuis le début de 2018, soit un volume de 560 millions d’euros en baisse de 17 % sur un an. La performance reste toutefois honorable, soutenue par la réalisation de plusieurs cessions plus ou moins significatives de portefeuilles d’enseignes ou de boîtes commerciales. Quant aux acquisitions de retail parks, elles restent assez peu nombreuses, l’offre structurellement limitée d’actifs de dernière génération peinant à répondre à l’appétit important des investisseurs. Enfin, le marché des centres commerciaux est resté quasiment atone, avec des volumes proches de 350 millions d’euros soit 16 % des sommes investies en commerces en France. Depuis le début de l’année et la vente à Carmila de « Grand Vitrolles », les opérations se comptent presque sur les doigts d’une seule main ; un resserrement du marché qui traduit l’absence de centres commerciaux phare disponibles à la vente et le manque de visibilité des investisseurs quant au devenir d’actifs moins prime.
« Les cessions à venir de flagships parisiens, la finalisation attendue de la vente par Casino d’un portefeuille Monoprix et quelques autres grandes opérations en cours nous permettent de tabler sur un 4e trimestre bien plus actif. Toutefois, les performances n’atteindront probablement pas en 2018 le niveau des cinq dernières années, soit 5,4 milliards d’euros investis en moyenne entre 2014 et 2017 sur le marché des commerces » conclut Antoine Grignon.
[1]Contraction de mots anglais signifiant « athlétique » et « loisir ». Tendance promouvant un mode de vie plus sain et conciliant style et confort.