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Le « Brexodus » n’a pas (encore) eu lieu



A six mois de la date de sortie officielle du Royaume-Uni de l’Union européenne, quel sera l’impact du Brexit sur le marché européen de l’immobilier d’entreprise ? Knight Frank France livre sa seconde étude sur le sujet, en s’appuyant sur son réseau de recherche international.

Une accélération des prises de décisions

Plus de deux ans après le référendum de juin 2016, le « Brexodus » n’a pas eu lieu, et rien ne permet pour l’instant d’affirmer qu’il se produira, ni qu’il impactera négativement le marché de l’immobilier d’entreprise londonien. Cependant, un phénomène est indéniable : le rythme des mouvements liés au Brexit s’accélère. « Sur les quelque 200 projets de relocalisation ou de création recensés par Knight Frank, 110 ont été annoncés depuis le début de 2018 dont 84 depuis le début du 2e trimestre. Le chiffre est supérieur à celui enregistré sur l’ensemble de 2017. Cette accélération en dit long sur l’environnement dans lequel évoluent les entreprises » précise David Bourla, directeur Etudes et Recherche de Knight Frank France. De fait, sans certitude aucune sur l’issue des négociations, la perspective d’un Brexit dur ou d’un « no deal » et la perte du passeport financier les obligent à prendre leurs dispositions pour parer à toute éventualité et leur permettre de poursuivre leurs activités au-delà de la période de transition.

La finance traditionnelle…mais pas seulement

« Effet passeport » oblige, la finance représente la majorité du nombre de mouvements recensés jusqu’à présent, soit une part d’environ 70 %. La finance traditionnelle n’est pas la seule concernée : les entreprises de la Fintech, qui pèsent désormais un poids considérable dans l’industrie financière, sont également à l’origine de nombreux mouvements. Leur enjeu n’est pas seulement de bénéficier d’un environnement réglementaire et fiscal favorable, mais aussi de pouvoir continuer à attirer des talents.

Comptant pour près de 20 % du nombre total de mouvements liés au Brexit, le secteur des assurances est également bien représenté. La perte du passeport financier est là encore en cause, contraignant les entreprises du secteur à créer une filiale dans un pays de l’Union pour accéder au marché européen. D’autres types d’acteurs se distinguent. Largement médiatisé, l’exemple des agences européennes implantées à Londres n’est sans doute pas le plus significatif tant leur relocalisation hors du Royaume-Uni était une évidence. Ainsi, l’EBA (European Banking Authority) est en train de finaliser son installation dans une tour de La Défense, tandis que l’EMA (European Medicines Agency) a opté pour Amsterdam. Les mouvements liés au Brexit vont bien au-delà des agences européennes, et couvrent un très large champ d’activités. Parmi celles-ci, les avocats et le secteur du conseil représentent 6 % du nombre total de projets, une part non négligeable illustrant les opportunités liées au besoin d’accompagnement d’entreprises financières dans les domaines du droit ou du recrutement.

Des mouvements à relativiser ?

Si plusieurs des mouvements recensés sont d’ores et déjà effectifs (du personnel a été transféré du Royaume-Uni, des profils ont été recrutés localement, des bureaux ont été pris à bail, etc.), la plupart restent néanmoins à l’état de projet. S’ajoutent à cela des estimations souvent fluctuantes s’agissant du nombre de postes concernés par une relocalisation. Enfin, les suppressions récemment opérées par certaines banques au Royaume-Uni peuvent avoir d’autres causes que le Brexit, et ne se traduiront donc pas nécessairement par la relocalisation d’un nombre équivalent d’emplois au sein de l’UE. Ce serait en effet oublier le profond mouvement de restructuration dans lequel les banques sont engagées depuis la chute de Lehman Brothers et la crise de la dette souveraine en Europe.

Dans le contexte actuel, il n’est donc pas toujours aisé d’isoler le Brexit d’autres facteurs potentiellement destructeurs d’emplois financiers au Royaume-Uni. Un autre élément essentiel conduit à relativiser l’effet Brexit : celui de la révolution digitale, dont l’impact sur les effectifs de la finance britannique pourrait être d’une toute autre ampleur que le résultat du référendum de juin 2016.

Paris dans le trio de tête

Dublin, Luxembourg, Paris, Francfort et Amsterdam : les cinq villes ayant accueilli, ou étant susceptibles d’accueillir, le plus de créations ou de relocalisations d’emplois liées au Brexit concentrent à elles seules 78 % du nombre total de projets recensés. De fait, les entreprises privilégient un nombre limité de places européennes, choisies pour la puissance de leur place financière (Paris, Francfort), un cadre réglementaire et fiscal particulièrement attractif (Luxembourg, Dublin, Amsterdam), une expertise reconnue dans certains types d’activités (Luxembourg et Dublin dans le domaine de la gestion de fonds) ou leur proximité culturelle avec le Royaume-Uni (Dublin).

« Paris s’est affirmée très tôt comme une destination de choix pour les emplois susceptibles d’être relocalisés ou créés en raison du Brexit. Son statut de ville monde, sa proximité géographique avec Londres, l’importance de son secteur financier et l’amélioration récente de l’image de la France auprès des milieux d’affaires internationaux ont sans aucun doute joué en faveur de la capitale française » précise David Bourla. Celle-ci figure en bonne place dans le classement des destinations les plus prisées, juste derrière Dublin et Luxembourg mais au coude à coude avec Francfort. Ainsi, près de 25 projets de création ou de relocalisation liés au Brexit se sont portés sur Paris, soit 12 % du nombre total de mouvements dénombrés en Europe. Si cette part est inférieure à celle de Dublin et de Luxembourg, Paris semble toutefois devancer ces deux villes en matière de gains d’emplois potentiels, avec une fourchette comprise entre 2 500 et 2 800 nouveaux postes.

L’impact du Brexit sur le marché immobilier parisien devrait néanmoins demeurer limité. Disposant d’ores et déjà de locaux à Paris, certaines entreprises paraissent ainsi en mesure de densifier leurs espaces de bureaux pour absorber un surplus de personnel qui, dans la plupart des cas, est assez modeste. De fait, la demande de bureaux du secteur financier n’a pas pour l’instant enregistré de « coup de boost » lié au Brexit. Qu’en sera-t-il dans les prochains mois ? Certes, les négociations en cours indiquent que d’autres entreprises concrétiseront bientôt d’importants mouvements locatifs. La finance ne devrait pas pour autant devenir, grâce au Brexit, LE futur moteur du marché des bureaux d’Ile-de-France. D’une part parce que le secteur reste soumis, en France comme dans le reste du monde, à d’importants impératifs de rationalisation ; d’autre part parce que les nouveaux emplois espérés, s’ils devaient tous se concrétiser, ne représenteraient somme toute qu’une part assez modeste de la demande placée totale en région parisienne.

L’impact potentiel du Brexit peut également être relativisé par l’essor d’autres activités, les performances du marché des bureaux d’Ile-de-France dépendant de plus en plus de secteurs qui, comme le coworking ou les « Tech », sont, eux, en pleine expansion. Tech, coworking et Brexit : ces phénomènes ne sont pas pour autant déconnectés. Le Brexit pourrait ainsi favoriser l’expansion de jeunes pousses de la Fintech, auxquelles Paris fait depuis quelque temps les yeux doux. Il pourrait également alimenter la demande pour des espaces de travail partagés, parfaitement adaptés aux impératifs de flexibilité d’entreprises contraintes d’anticiper les effets du Brexit dans un climat toujours très incertain.

Londres résiste

Comme à Paris, les Tech et le coworking jouent un rôle de plus en plus important sur le marché immobilier londonien. Leur dynamisme a largement compensé les incidences du Brexit, dont les effets ont en outre été limités par la modestie des relocalisations d’emplois sur le continent. Récemment, les loyers sont ainsi repartis à la hausse dans les quartiers de prédilection des Tech, avec une progression de 5 % à Shoreditch, de 6 % à King’s Cross (où se trouvent notamment les bureaux de Google) et de 8 % à Southbank.

Par ailleurs, les investisseurs internationaux n’ont pas tardé à faire la part des choses entre le pessimisme ambiant et les conditions réelles de marché de la capitale britannique. Si les volumes investis avaient nettement chuté au 3e trimestre 2016 (2,3 milliards de livres contre une moyenne de long terme atteignant 3,5 milliards), ils sont rapidement repartis à la hausse pour atteindre 4,2 milliards au trimestre suivant. Les années 2017 et 2018 ont confirmé ce regain de vigueur, un seul trimestre ayant vu ses performances passer en deçà de la moyenne de long terme. La demande des investisseurs asiatiques – chinois et hongkongais surtout – a été particulièrement forte, soulignant l’attrait qu’exerce Londres bien au-delà des seuls investisseurs européens. S’il était entendu que la demande des investisseurs et des utilisateurs allait s’effondrer après le vote des Britanniques en faveur du Brexit, il n’en a donc rien été.

L’avenir du marché londonien dépend désormais pour une large part de l’issue des négociations entre Londres et Bruxelles, et de la possibilité ou pas de conclure un accord. Si les deux parties parviennent à s’entendre sur les modalités de retrait du Royaume-Uni, peu de choses devraient changer pour l’économie londonienne et son marché immobilier. L’absence d’accord pourrait en revanche amener plus de volatilité, en particulier lors du 1er semestre 2019.