Agglotv.com

Un détecteur d’explosifs hors-norme qui s’inspire des antennes d’un papillon


Imiter les antennes d’un papillon de nuit, le Bombyx du Murier, pour concevoir un système de détection d’explosifs aux performances inégalées, telle est la prouesse réalisée par une équipe de l’unité « Nanomatériaux pour systèmes sous sollicitations extrêmes » (CNRS / Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis), en collaboration avec le Laboratoire des matériaux, surfaces et procédés pour la catalyse (CNRS / Université de Strasbourg). Constitué d’un micro-levier en silicium portant près de 500 000 nanotubes alignés en dioxyde de titane, ce dispositif est capable de détecter des concentrations de trinitrotoluène (TNT) de l’ordre de 800 ppq1 (soit 800 molécules d’explosif parmi 1015 molécules d’air), améliorant ainsi d’un facteur mille le seuil de détection atteint jusqu’à présent. Ce concept innovant pourrait aussi servir à détecter des drogues, des agents toxiques ou des traces de polluants organiques. Ces travaux sont publiés le 29 mai 2012 dans la revue Angewandte Chemie.

La détection efficace d’explosifs tels que le trinitrotoluène (TNT) constitue un défi difficile en matière de sécurité. En effet, ces composés sont très peu volatils, et pour les détecter à distance, il faut des capteurs extrêmement sensibles. Les systèmes actuels détectent des concentrations de l’ordre de 1 ppb 2 (une molécule pour 109 molécules d’air), performance qui peut s’avérer insuffisante pour assurer la sécurité d’un aéroport, par exemple. Or, de nombreux animaux ont un odorat pouvant descendre bien en dessous de ce seuil. Parmi ceux-ci, le Bombyx du Murier (Bombyx mori), un papillon de nuit capable de réagir à la capture de seulement quelques molécules de phéromone. Ses antennes sont composées de brins d’une longueur proche du millimètre, sur lesquels sont placés un grand nombre de sensilles, de tout petits brins de taille micrométrique directement reliés aux neurones sensoriels. C’est cette structure qu’ont voulu imiter les chercheurs.

Le système qu’ils ont mis au point est constitué d’un micro-levier en silicium de 200 microns de long pour 30 de large. Ce support a été nanostructuré par environ 500 000 nanotubes de dioxyde de titane alignés verticalement. Ces nanostructures ont pour but de multiplier d’environ un facteur 100 la surface du micro-levier, et d’augmenter d’autant les chances de capturer les molécules recherchées. La mise en vibration du micro-levier est le test permettant de savoir si l’air ambiant contient des traces de TNT et si ces molécules ont été capturées par le dispositif. En effet, le micro-levier possède une fréquence de résonance propre qui est modifiée de façon spécifique lorsqu’il absorbe des molécules d’explosif.

Pour tester les performances de ce dispositif, les chercheurs ont libéré de façon contrôlée de très faibles quantités de TNT. Ainsi, ils ont pu établir que la sensibilité de ce dispositif était de 800 ppq (800 molécules pour un million de milliards de molécules (1015)). Aucun dispositif actuel ne peut détecter d’aussi faibles concentrations d’explosifs. De telles performances s’approchent de celles des chiens entraînés.

Un travail de recherche et développement est encore nécessaire avant d’obtenir un appareil facilement utilisable à partir de ces leviers nanostructurés. L’une des prochaines étapes est de concevoir un dispositif capable de reconnaître de manière spécifique le type d’explosif absorbé. Les scientifiques souhaitent d’ores et déjà adapter ces micro-leviers pour la détection d’autres explosifs, tels que la pentrite, susceptibles de poser un problème de sécurité en Europe. Par ailleurs, cette méthode pourrait aussi servir à détecter diverses drogues, qui, tout comme les explosifs, sont très peu volatiles. En matière environnementale, ce dispositif bio-inspiré pourrait permettre de mesurer d’infimes traces de polluants tels que les composés organiques volatils, devenus un problème sanitaire majeur.

1 Le ppq (partie par quadrillion) est utilisé pour mesurer l’abondance d’un élément.
2 Le ppb (partie par billion) représente une concentration de l’ordre de 10-9.

Presse CNRS l Priscilla Dacher l T 01 44 96 46 06 l priscilla.dacher@cnrs-dir.fr