Agglotv.com

La Tunisie doit renoncer aux poursuites contre le patron de la chaîne de télévision qui a diffusé Persepolis


Les poursuites pénales contre le propriétaire d’une chaîne de télévision tunisienne ayant projeté le film Persepolis sont un affront à la liberté d’expression, a déclaré Amnesty International avant l’ouverture du procès, prévue ce lundi.

Nabil Karoui, propriétaire de Nessma TV, doit être jugé le 23 janvier à Tunis pour « violation des valeurs sacrées » et « troubles à l’ordre public ». Ces chefs font référence à la diffusion par la chaîne du film d’animation français Persepolis, auquel on reproche d’être blasphématoire car il comporte une scène montrant une représentation de Dieu.

Nabil Karoui risque jusqu’à trois ans d’emprisonnement.

« Il est très inquiétant de voir Nabil Karoui poursuivi pour la seule raison qu’il a diffusé un film montrant des scènes imaginées de Dieu, a déclaré Philip Luther, directeur par intérim du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

« Les autorités tunisiennes doivent respecter le droit de Nabil Karoui à la liberté d’expression et retirer ces charges immédiatement. »

La diffusion en octobre par Nessma TV de Persepolis, un film primé sur la révolution iranienne de 1979 racontée du point de vue d’une petite fille, a provoqué des réactions de colère.

La maison de Nabil Karoui a été incendiée le 14 octobre à la suite d’une manifestation devant les bureaux de Nessma TV, dans le centre de Tunis. Des militants salafistes sont soupçonnés d’avoir mené l’attaque.

Une plainte a été déposée contre le président et deux employés de Nessma TV par 144 personnes, notamment des avocats.

Les journalistes tunisiens ont été la cible de multiples attaques ces derniers mois, menées par des membres des forces de sécurité et par d’autres personnes, selon les informations recueillies.

Alors qu’il circulait dans les transports publics à Tunis le 18 janvier, Mohamed Ali Ltifi, du journal Al Oula, a été frappé par des policiers et forcé de descendre d’un train après avoir montré sa carte de presse. Les fonctionnaires n’ont avancé aucune raison pour justifier leur geste.

Le journaliste de Nessma TV Sofiene Ben Hamida a été agressé physiquement le 11 janvier alors qu’il couvrait une manifestation devant le ministère de l’Intérieur.

Le mouvement avait été organisé par des policiers qui entendaient protester contre la suspension de l’un des leurs soupçonné d’être impliqué dans la mort de manifestants lors du soulèvement.

Sofiene Ben Hamida pense que ses agresseurs appartiennent à un groupe extrémiste ayant organisé une contre-manifestation simultanée.

Plus tôt ce mois-ci, deux femmes journalistes – Sanaa Farhat, du quotidien de langue française Le Temps, et Maha Ouelhezi, du site d’informations Web Manager Center – ont été brutalisées par des policiers en civil alors qu’elles couvraient une manifestation devant le ministère de l’Enseignement supérieur.

Sanaa Farhat a été traînée par les cheveux et battue par des membres des services de sécurité.

« La Tunisie progresse dans certains domaines des droits humains, mais elle a de toute évidence encore beaucoup de travail à faire pour le respect de la liberté d’expression », a déclaré Philip Luther.

Le récent rapport d’Amnesty International intitulé Une année de rébellion. La situation des droits humains au Moyen-Orient et en Afrique du Nord montre que le gouvernement provisoire de la Tunisie n’a toujours pas mis en place la réforme globale des droits humains réclamée par les manifestants il y a un an.

Un an après la fuite de l’ancien président Zine el Abidine Ben Ali, les autorités ont pris quelques premières mesures positives, notamment en adoptant des traités importants relatifs aux droits humains et en accordant, en règle générale, davantage de liberté aux médias et aux organisations de défense des droits fondamentaux.

Dans la plupart des cas cependant, les forces de sécurité du pays ne sont toujours pas amenées à rendre compte de leurs actes et les victimes de violations des droits humains continuent d’attendre que justice soit rendue.

En mars 2011, la redoutable Direction de la sûreté de l’État, coupable de violations pendant des années sous le président Ben Ali, a été dissoute. On craint cependant que ses membres n’aient simplement été intégrés dans d’autres organes, dont le fonctionnement reste opaque et qui ne sont pas soumis à l’obligation de rendre des comptes.

Amnesty International a recensé depuis le départ du président Ben Ali une série de cas dans lesquels des manifestations et des sit-ins pacifiques ont été dispersés par la force et des manifestants ont été roués de coups.