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Un an plus tard, les Tunisiens attendent encore la réforme demandée sur le plan des droits humains


Le gouvernement provisoire tunisien n’a toujours pas mené la réforme d’ensemble que les manifestants réclamaient il y a un an dans le domaine des droits humains, a déclaré Amnesty International vendredi 13 janvier.

Un an après la fuite de l’ancien président Zine el Abidine Ben Ali, les autorités ont pris quelques premières mesures positives, notamment en adoptant des traités importants relatifs aux droits humains et en accordant davantage de liberté aux médias et aux organisations de défense des droits fondamentaux.

Cependant, Amnesty International a regretté que les forces de sécurité du pays ne soient toujours pas soumises à l’obligation de rendre des comptes et que les victimes de violations des droits humains continuent à attendre que justice soit faite.

« Le gouvernement provisoire a pris quelques décisions encourageantes sur la voie de la réforme dans le domaine des droits humains », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. « Mais pour de nombreux Tunisiens, le rythme du changement est trop lent. »

« Nous ne pourrons pas affirmer que la volonté politique nécessaire à un véritable changement sur le plan des droits humains existe avant d’avoir sous les yeux une nouvelle constitution consacrant les droits fondamentaux, l’obligation de rendre des comptes pour les violations commises et l’établissement de l’état de droit. »

Questions pressantes

Amnesty International a indiqué que les autorités devaient faire de la refonte totale des forces de sécurité une priorité urgente pour 2012.

En mars 2011, la très crainte Direction de la sûreté de l’État, coupable de violations pendant des années sous le président Ben Ali, a été dissoute. On craint cependant que ses membres n’aient simplement été intégrés dans d’autres organes, dont le fonctionnement reste opaque et qui ne sont pas soumis à l’obligation de rendre des comptes.

Amnesty International a recensé depuis le départ du président Ben Ali plusieurs cas dans lesquels des actions de protestation et des sit-ins ont été dispersés par la force et des manifestants ont été roués de coups.

L’organisation a demandé au gouvernement tunisien de diffuser certaines consignes claires relatives au recours à la force et d’établir un organe indépendant chargé de surveiller le travail des forces de sécurité.

L’organisation a également estimé que le gouvernement n’a pas répondu de manière satisfaisante aux appels à la justice pour les violations passées, qu’il s’agisse de celles commises lors du soulèvement ou de celles résultant de la répression ayant sévi les 23 années précédentes.

Selon les chiffres officiels, au moins 300 personnes sont mortes et 700 ont été blessées pendant le soulèvement de décembre 2010 et janvier 2011.

Alors que Zine el Abidine Ben Ali et des membres de sa famille ont été jugés – certains par contumace – pour corruption et d’autres infractions en juin, les Tunisiens ont dû attendre jusqu’en novembre pour que l’ancien président soit jugé, là aussi par contumace, de même que 40 autres hauts fonctionnaires, pour l’homicide de manifestants. Zine el Abidine Ben Ali est toujours en fuite en Arabie saoudite malgré les efforts déployés par les autorités tunisiennes pour obtenir son extradition.

Une commission d’établissement des faits sur les violations perpétrées lors des manifestations n’a toujours pas rendu de rapport, et rares sont les auteurs présumés d’abus qui ont été poursuivis.

Certains hauts responsables des forces de sécurité accusés de violations ont au début tout simplement refusé de se prêter à un interrogatoire, et si des enquêtes ont été diligentées sur quelques cas par des tribunaux civils, plusieurs juges n’ont pas voulu ou pu mener à bien des enquêtes approfondies ou indépendantes.

Les familles des personnes blessées ou tuées par les forces gouvernementales ont déclaré à Amnesty International que nombre des responsables présumés étaient toujours en liberté, et que certains d’entre eux avaient été promus à des postes plus élevés.

« Si le gouvernement souhaite véritablement protéger les droits humains et instaurer l’état de droit, il ne peut rester insensible à la quête de vérité et de justice des proches des personnes tuées ou blessées, et il doit amener les responsables présumés à rendre des comptes », a poursuivi Hassiba Hadj-Sahraoui.

Avancées positives

Amnesty International a salué la décision des autorités tunisiennes d’adopter plusieurs traités internationaux d’importance en matière de droits humains en 2011.

La Tunisie a au cours de l’année écoulée rejoint la Cour pénale internationale et retiré ses réserves concernant la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

Néanmoins, de nombreuses femmes se sont plaintes de ne pas avoir été traitées sur un pied d’égalité avec les hommes lors de la transition politique et d’avoir été marginalisées par les partis politiques, qui ont présenté principalement des hommes en tête de liste pour les élections.

Parmi les autres évolutions positives, les prisonniers politiques et prisonniers d’opinion placés en détention avant le soulèvement ont été remis en liberté, et le harcèlement et les restrictions systématiques infligés par les forces de sécurité à d’anciens prisonniers politiques ont pris fin. Aucun système global de réparation et de réadaptation n’a toutefois été mis en place.

Après le soulèvement, les organisations de défense des droits humains ont pu se réunir librement pour la première fois. La Ligue tunisienne des droits de l’homme a ainsi organisé son premier congrès annuel depuis plus d’une décennie en septembre, un événement auquel a assisté le Premier ministre du gouvernement provisoire.

La nouvelle coalition gouvernementale a été formée à la suite des élections d’octobre. Le président tunisien par intérim est Moncef Marzouki, un défenseur des droits humains adopté dans le passé comme prisonnier d’opinion par Amnesty International.

Lors d’une rencontre avec la société civile tunisienne, il a signé le Manifeste d’Amnesty International pour le changement, s’engageant à mettre en œuvre 10 mesures clés en faveur des droits humains.

Nouvelle constitution

L’organisation a souligné que la rédaction de la nouvelle constitution était une occasion déterminante de mettre le respect des droits humains au cœur du fonctionnement des institutions du pays, et a demandé que soient inscrits dans ce nouveau texte les principes de non-discrimination et d’indépendance de la justice.

« L’Assemblée nationale constituante a désormais la lourde responsabilité de rompre avec les abus du passé et de veiller à ce que les droits humains soient inscrits dans la Constitution », a ajouté Hassiba Hadj Sahraoui. « Elle doit saisir la chance qui lui est donnée de rédiger une nouvelle constitution garantissant la protection des droits humains et de l’égalité devant la loi. »

« Les Tunisiens ne vont pas se satisfaire de réformes parcellaires. Un des facteurs déterminants sera la capacité des autorités à faire respecter les droits économiques et sociaux en dépit des difficultés que cela représente. »

Complément d’information

Le gouvernement provisoire a ratifié plusieurs traités internationaux des droits humains de grande importance en 2011, parmi lesquels :
• le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
• le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
• la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ;
• les autorités ont par ailleurs levé des réserves spécifiques à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et
• en juillet 2011, la Tunisie est devenue le 116e État à ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.