Le comité d’entreprise de la RATP, créé en 1947, exerce les deux missions confiées par le code du travail aux comités d’entreprise : la « mission générale d’information et de consultation » des salariés – qui, contrôlée par la Cour, n’appelle pas d’observations majeures – et la mission de gestion d’« activités sociales et culturelles ».
Il est constitué des agents de la RATP élus par les salariés lors des élections professionnelles. S’il est présidé par l’employeur (le président-directeur général de la RATP), il jouit d’une autonomie de décision et de gestion vis-à-vis de l’entreprise RATP et est dirigé par un secrétariat, composé du secrétaire, du trésorier, élus qui exercent leurs mandats à plein temps, et de leurs deux adjoints. Le président-directeur général de la RATP ne dispose en droit donc que d’un pouvoir de contrôle, qui, en l’occurrence, n’est pas’il n’a guère exercé.
Pour exercer remplir ses missions, le comité d’entreprise CE bénéficie d’une subvention annuelle de l’employeur, fixée à 3,11 % de la masse salariale de la RATP (0,3 % pour la mission d’information et de consultation des salariés et 2,81 % pour la mission de gestion des activités sociales et culturelles), soit 53 M€ en 2009.
Le comité d’entreprise fait l’objet d’une gestion défaillante, marquée par de graves irrégularités et troublée par un climat social très dégradéLa gestion du comité d’entreprise est défaillante, marquée par de graves irrégularités et troublée par un climat social très dégradé dangereux pour la santé des salariés.
Les élus, et plus particulièrement le secrétaire et le trésorier, interfèrent dans la gestion quotidienne des activités sociales et culturelles au point de retirer aux responsables des services du comité d’entreprise CE tout pouvoir d’initiative et de pilotage.
Au cours de la période examinée, les services gestionnaires ont été écartés des négociations avec les fournisseurs choisis par les élus sans appel à la concurrence, en méconnaissance des instructions internes du comité d’entreprise CE imposant la consultation de plusieurs entreprises.
Enfin, la gestion du personnel est défaillante : accumulation de tensions sociales, nombre élevé de démissions et licenciements entre 2004 et 2010 se soldant par un coût de 1,1 M€ d’indemnités versées, postes stratégiques non pourvus.
Tout ceci a contribué à dégrader le climat social au sein du comité d’entreprise CE, qui emploie 450 agents sous contrats en durée indéterminée et 600 agents en équivalent temps plein.
Au point qu’enEn mai 2010, le directeur départemental du travail de la Seine-Saint-Denis constatait « l’existence d’une situation dangereuse » pour la santé physique et mentale des salariés du comité d’entreprise CE. Mentionnant une alerte donnée par le médecin de travail (« le management représente au comité central d’entreprise de la RATP un risque d’atteinte grave à la santé des salariés »), il mettait en demeure le secrétaire du comité central d’entreprise, en sa qualité d’employeur, de prendre les mesures correctrices nécessaires.
Le comité d’entreprise CE, qui détenait détient des actifs importants (72 M€ enregistrés au bilan 2009,) et générant générait des charges à hauteur de 82 M€) la même année, ne fait pas certifier ses comptes., comme la loi l’y autorise, et ces comptes ne qui ne sont ni publiés ni affichés. Une mission d’audit confiée en février 2011 à un cabinet d’expertise comptable a relevé de nombreuses anomalies telles que l’absence de clôture informatique des comptes et la non-déclaration des cotisations sociales à l’URSSAF.
Les investigations de la Cour sur les dépenses du comité d’entreprise en matière d’activités sociales et culturelles ont été rendues difficiles par les lacunes des pièces justificatives.
La gestion de la restauration collective
Le comité central d’entreprise fabrique et sert environ 6000 repas par jour dans une trentaine de restaurants et dans une trentaine vingtaine de sites de distribution automatique. Il a fait le choix de gérer directement l’activité de restauration collective, sans recourir ni à des prestataires de services ni au système des tickets-restaurant. Il a également fait le choix, en dépit de ses ambitions sociales affichées, de ne pas différencier les tarifs des repas en fonction des revenus des agents de la RATP.
Une part importante (26% en 2009) des denrées alimentaires livrées en distribution automatique est retirée (les biens retirés sont ensuite détruits selon , pour être détruite, selon la réponse fournie par le comité d’entreprise). CE. *** NB** nous préférons cette rédaction pour la raison suivante : le CE nous a effectivement répondu que les repas retirés étaient « retournés pour destruction à la cuisine centrale » mais le pourcentage de 26% ne vient pas de leur réponse, c’est nous qui l’avons calculé à partir des tableaux communiqués par le CE détaillant mois par mois et composante de repas par composante (entrée, plat de viande, légume, les pourcentages de repas retirés***** Ce retrait prématuré est opéré dès le jour suivant celui de leur livraison et non à la date limite de consommation (fixée à fabrication +3 jours). Pour la période 2006-2009, ce sont environ 290 000 € de biens alimentaires produits qui ont été détruits le surlendemain de leur production. Par ailleurs, dans un contexte où les élus n’ont pas souhaité généraliser le paiement des repas par carte bancaire, des disparitions d’encaisses ont été constatées en fin de chaîne, après le dépôt des recettes par le ramasseur de fonds.
Des manquements aux règles d’hygiène sont relevés de manière récurrente au restaurant du siège de la RATP à Paris rue de de Bercy, où sont servis environ 1200 repas par jour en pleine activité. La présence de nuisibles, cafards et souris y a été détectée depuis 2007 sans qu’une solution satisfaisante n’ait été mise en œuvre pour assurer la sécurité alimentaire des usagers. Des dysfonctionnements mettant en danger la sécurité des employés n’ont pas non plus été résolus. Le 2 août 2010, les services compétents de l’Etat ont adressé une mise en demeure au comité central d’entreprise.
Les denrées alimentaires représentent un volume d’achat d’environ 5 M€ par an. Les relations avec la centrale d’achat et les fournisseurs sont du ressort exclusif des élus et plus particulièrement du trésorier. Mis à l’écart des négociations de tarifs avec les fournisseurs, les services gestionnaires ne disposent pas des données leur permettant de suivre et de contrôler les prix facturés au comité d’entreprise. Ils ne peuvent que noter de manière ponctuelle des tarifs anormalement élevés.
L’analyse de la Cour met en lumière que le comité d’entreprise CE a mis en place un système dans lequel les prix qu’il paye sont manifestement surévalués. et dont lLes défaillances dans le circuit de paiement des factures conduisent à des doubles paiements répétitifs à certains fournisseurs.
La gestion de l’activité « vacances »
Le comité d’entreprise CE propose des séjours de vacances aux agents de la RATP et à leurs familles, notamment dans la trentaine de centres qui lui appartiennent ou dans les huit centres dont il est copropriétaire via sa participation au capital de sociétés civiles immobilières.
Les résultats de l’activité ne sont pas à la hauteur des ambitions sociales affichées par les élus d’offrir « un accès au plus grand nombre aux vacances » et de « développer le tourisme social ». Moins de 13 % des salariés de la RATP font appel au comité d’entreprise pour leurs séjours de vacances et, parmi ceux-ci, ce sont les agents les moins plus défavorisés qui sont majoritaires.
Dans six opérations de rénovation immobilière menées entre 2004 et 2010 et examinées par la Cour, les mêmes pratiques se répètent : prix payés au-delà du marché, prestations facturées mais non réalisées, piètre qualité des travaux exécutés avec des malfaçons généralisées allant jusqu’à mettre en danger la sécurité des personnes.
Les deux plus grandes opérations contrôlées, l’une menée dans un hôtel à Serre-Chevalier dans les Hautes-Alpes et l’autre dans un camping dans les Pyrénées-Orientales, pour un coût d’environ 16 M€, ont été conduites par le même maître d’œuvre choisi de gré à gré par les élus, rémunéré au total 1 057 921 € pour les deux chantiers, et par la même entreprise de travaux, la SCOP Alpha TP, retenue au terme d’une procédure s’apparentant à un simulacre d’appel d’offres.
Dans les deux opérations, les prix facturés par Alpha TP ont été anormalement élevés.
Dans le cas de la rénovation de l’hôtel « Chanteneige » à Serre-Chevalier, acheté par le comité d’entreprise en 2005, les travaux ont démarré avant la délivrance du permis de construire puis ont été exécutés à la hâte pour respecter les délais fixés par les élus, pour une ouverture en juillet 2006. L’enquête menée sur pièces et sur place par la Cour en 2010 a conduit à mettre en lumière l’existence de risques pour la sécurité de personnes. Le Procureur général près la Cour des comptes a alerté la préfète des Hautes-Alpes en décembre 2010. La fermeture du centre, décidée à titre conservatoire par le comité d’entreprise en décembre 2010, a été ordonnée par le maire de Saint-Chaffrey le 12 mai 2011. Le coût de l’opération de réhabilitation de l’hôtel, qui s’élevait à 7,1 M€ au 31 décembre 2006, est désormais imprévisible notamment en raison des incertitudes liées à la durée de la période de fermeture et à l’étendue des travaux à effectuer.
L’opération de réhabilitation du camping de Sainte-Marie, dans les Pyrénées-Orientales, présente des défaillances similaires. Le montant de certains travaux facturés par Alpha TP a été supérieur de 20% au prix facturés pour les mêmes prestations par une entreprise dans un autre centre de vacances du comité d’entreprise. Des mobil-homes ont été achetés à une société dont les prix étaient supérieurs de 13% à ceux d’une entreprise concurrente que les services gestionnaires proposaient de retenir. Des prestations non réalisées ont été payées. Au total, le montant des travaux au camping de Sainte-Marie s’est élevé à près de 9 M€, pour une réhabilitation partielle du centre et pour l’achat de 113 mobil-homes dont la durée de vie est estimée à moins de quinze ans.
Autres activités sociales et culturelles
Depuis 2007, le comité central d’entreprise organise une fête annuelle d’une journée dans un château de l’Essonne, propriété de la CGT-RATP. Les dépenses de la journée de fête s’élèvent en moyenne à 447 000 €. Cet argent est dépensé par un agent détaché de la RATP, qui ne répond qu’aux élus, ne suit aucune procédure, choisit seul les fournisseurs dont certains pratiquent des facturations manifestement abusives, et se dispense de produire les pièces justificatives pour un nombre significatif de transactions.
Une association loi 1901, « échanges et solidarités », créée en 2007 par le comité d’entreprise CE et subventionnée par ce dernier (60 733 € en 2010) finance en particulier des opérations à Cuba gérées par le même agent détaché de la RATP chargé de la fête annuelle du comité d’entreprise. Il s’agit d’une coopération avec un centre de loisirs « Rancho Luna » fondé en 1976 pour des enfants handicapés. Interrogé sur les critères ayant présidé au choix de « Rancho Luna », l’agent en question a répondu que ce centre est situé dans la commune d’où son épouse est originaire. Il se rend fréquemment à Cuba, où il a effectué au moins sept voyages entre 2008 et 2010, financés par l’association « échanges et solidarités » et achète en France divers équipements pour le centre de Rancho Luna. Certains de ces équipements n’ont apparemment pas été livrés comme prévu.
En conclusion, la Cour considère que les constats relatifs à la gestion des activités sociales sont accablants :
a- Le comité d’entreprise, échappant à tout contrôle tant interne qu’externe, n’est pas structuré pour fonctionner rationnellement ;.
b- L’absence d’obligations comptables et de certification des comptes est un facteur propice au développement d’irrégularités financières dans un contexte où les règles internes de validation de la dépense ne sont pas respectées ;
c- les résultats des activités sociales ne sont pas à la hauteur des ambitions sociales affichées ;.
d- Les errements anomalies constatées dans la conduite des travaux immobiliers dans les centres de vacances débouchent parfois sur la mise en danger de la vie des utilisateurs – des personnels de la RATP et de leurs familles – de ceux qui utilisentd les prestations du comité d’entreprise ;.
e- Le choix des fournisseurs et la décision de continuer à travailler avec eux en dépit de défaillances graves et signalées et de facturations anormalement élevées posent la question des critères de sélection qui manifestement ne correspondent pas aux intérêts du comité d’entreprise.
Le caractère systématique des errements pratiques constatées, quel que soit le secteur d’activités analysé, conduit à penser qu’ils ne sont la conséquence ni de hasards malheureux, ni de défaillances humaines.
C’est un système de « fuite » des fonds confiés au CRE qui apparaît.
Par ailleurs, les résultats des activités sociales apparaissent en contradiction avec les ambitions sociales affichées.
Recommandations
La Cour recommande en premier lieu une remise en ordre profonde des différents aspects de la gestion du comité central d’entreprise afin qu’il soit mis fin aux défaillances structurelles et systémiques.
La Cour recommande en second lieu des trois réformes de portée générale dans les domaines de la comptabilité et de l’audit des comités d’entreprise tendant à :
– soumettre les comités d’entreprise au droit comptable avec l’obligation d’établir des comptes annuels au sens du code de commerce ;
– soumettre les comités d’entreprise à l’obligation de faire certifier leurs comptes, au-delà d’un seuil à déterminer ;
– assurer une large publicitéprévoir la publication des comptes, des rapports d’activité et du bilan social du comité d’entreprise, et leur diffusion auprès des salariés.
Suites données au contrôle de la Cour
Au-delà de la fermeture administrative du centre de vacances de « Chanteneige », consécutive au contrôle sur place de la Ccour des comptes, la Cour a demandé au le procureur général près la Cour des comptes a, sur la demande de la Cour, de saisir le garde des sceaux, ministre de la justice, de certains faits de nature à motiver l’ouverture d’une action pénale, en application de l’article R. 135-3 du code des juridictions financières.
En outre, compte tenu des difficultés particulières qu’elle a rencontrées durant son le contrôle, et pour la première fois, le procureur général près la Cour des comptes, à la demande de la Cour, a également saisi le parquetl’autorité judiciaire près la juridiction compétente en vue de déclencher l’action publique, la Cour a décidé de « porter plainte » contre un organisme qu’elle a contrôlé – en l’espèce le CE de la RATP — enpour qu’il soit fait application de l’article L.1410-1 du code des juridictions financières, qui prévoit queselon lequel le fait de faire obstacle (…) à l’exercice des pouvoirs attribués aux magistrats (…) est puni de 15000 euros d’amende.
Le procureur général près la Cour des comptes a donc saisi le parquet en vue de déclencher l’action publique.