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Shell doit verser un milliard de dollars pour la première phase du processus de dépollution du delta du Niger


Shell doit s’engager à effectuer un paiement initial d’un milliard de dollars américains (soit environ 722 millions d’euros) afin que puisse commencer le nettoyage des zones polluées par des déversements d’hydrocarbures dans le delta du Niger, ont déclaré Amnesty International et le Centre nigérian pour l’environnement, les droits humains et le développement (CEHRD) jeudi 10 novembre.

Le même jour, ces deux organisations ont rendu public un document intitulé La vraie « tragédie ». Retards et incapacité à stopper les fuites de pétrole dans le delta du Niger, qui revient sur la dévastation causée par deux très importants déversements d’hydrocarbures survenus en 2008 à Bodo, en pays ogoni, et qui n’ont jamais été nettoyés.

Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a récemment établi que la pollution pétrolière, s’échelonnant sur de nombreuses années, avait eu des effets si dévastateurs qu’il faudra plus de 25 ans au pays ogoni pour se remettre. Les Nations unies ont recommandé la création d’un Fonds pour la restauration environnementale, qui serait lancé avec un capital initial d’un milliard de dollars américains et recevrait des financements supplémentaires par la suite.

« L’incapacité de Shell à faire cesser les déversements d’hydrocarbures et à les nettoyer dans les meilleurs délais à Bodo a de terribles répercussions sur la vie de dizaines de milliers de personnes. La catastrophe de Bodo aurait pu être évitée ; elle reste en outre d’actualité en raison de l’inaction de Shell. Il est temps pour cette entreprise multimilliardaire de reconnaître sa responsabilité, de nettoyer la zone et de régler la note », a déclaré Aster van Kregten, spécialiste du Nigeria à Amnesty International.

En 2008, à la suite de deux épanchements consécutifs résultant de fissures dans un oléoduc, des quantités de pétrole se chiffrant en milliers de barils ont contaminé la terre et les cours d’eau tout autour de la ville de Bodo, qui compte 69 000 habitants. Dans les deux cas, plusieurs semaines se sont écoulées avant que les fuites ne soient maîtrisées. Aucun processus de nettoyage adéquat n’a eu lieu.

« Ce qui se passe à Bodo est représentatif de la situation globale du secteur pétrolier dans le delta du Niger. Les autorités ne contrôlent tout simplement pas les compagnies pétrolières. Shell et d’autres compagnies sont libres d’agir – ou de ne pas agir – sans se soucier des sanctions. La désignation d’un organe de régulation indépendant, ferme et disposant de ressources suffisantes n’a que trop tardé. Elle est nécessaire si l’on veut empêcher que d’autres personnes fassent les frais des agissements des compagnies pétrolières », a affirmé Patrick Naagbanton, coordonnateur du CEHRD.

Shell, dont les profits pour la période de juillet à septembre 2011 s’élèvent à 7,2 milliards de dollars américains (soit environ 5,2 milliards d’euros), a initialement offert à la population de Bodo 50 sacs de riz, des haricots, du sucre et des tomates pour toute aide humanitaire après la catastrophe.

Les dommages causés à la pêche et l’agriculture se sont traduits par des pénuries alimentaires et une hausse des prix à Bodo. Des résidents ont expliqué à Amnesty International et au CEHRD qu’ils ont du mal à gagner leur vie et qu’ils sont très inquiets pour leur santé. Il n’est pas facile de trouver un emploi de substitution. Beaucoup de jeunes gens sont obligés d’aller chercher du travail à Port Harcourt, la capitale de l’État, à 50 kilomètres.

Un pêcheur de Bodo a déclaré : « Avant ce désastre, la vie était facile. Il était possible de vivre de la pêche […] Après les fuites, tout a été détruit. »

Lorsqu’Amnesty International a demandé à Shell de s’exprimer sur les défaillances à Bodo, l’entreprise a répondu qu’étant donné que les déversements à Bodo font actuellement l’objet d’une procédure judiciaire au Royaume-Uni, elle n’était pas en mesure de répondre directement. Shell a avancé que les efforts déployés dans le but de régler les problèmes à Bodo sont entravés par des actes de sabotage continuels dans cette zone, assertion que contestent vivement Amnesty International et le CEHRD.

« Shell affirme fréquemment que la plupart des fuites de pétrole résultent d’actes de sabotage », a ajouté Aster van Kregten. « Cette affirmation est fortement contestée par les populations concernées et les ONG, qui soulignent que le processus de collecte de données sur les déversements de pétrole est imparfait. Même à Bodo, où il est établi que les fuites sont de la faute de Shell, l’entreprise semble se servir du sabotage comme d’une excuse pour ses manquements au droit et à la règlementation nigérians – qui requièrent qu’elle nettoie les zones polluées et indemnise les victimes au plus vite. Sa position est totalement indéfendable. »

« Les faits sont simples », a poursuivi Patrick Naagbanton. « Deux fuites, toutes deux impliquant l’entreprise, toutes deux négligées pendant des semaines avant qu’on n’y mette fin. Bien que trois années aient passé, les dégâts qu’elles ont causés n’ont toujours pas été nettoyés. Il n’y a pas d’excuse possible. Shell a échoué sur toute la ligne. »

Certaines agences du gouvernement nigérian sont elles aussi vivement critiquées dans le rapport pour n’avoir pas fait appliquer la règlementation. Le ministère fédéral des Ressources pétrolières – à qui revient la tâche de veiller à ce que l’industrie pétrolière respecte la règlementation – est également chargé de promouvoir l’industrie pétrolière et de garantir des revenus maximums.

L’agence gouvernementale nigériane censée faire face aux déversements de pétrole – l’Agence nationale pour la détection et la réaction aux déversements accidentels de pétrole (NOSDRA) – manque de moyens et est inefficace. Elle n’est pas à même de déceler les fuites de pétrole de manière indépendante et ce sont généralement la compagnie responsable ou la communauté touchée qui l’avertissent.

Dans un rapport récemment publié à ce propos, le PNUE a indiqué que « les agences gouvernementales sont à la merci des compagnies pétrolières lorsqu’il s’agit d’effectuer des inspections sur les sites » concernés par des déversements de pétrole.

La NOSDRA a failli à maintes reprises à sa mission consistant à faire appliquer les normes en vigueur dans le cadre de l’affaire de Bodo.

Complément d’information

Le 28 août 2008, une brèche dans l’oléoduc Trans-Niger a provoqué un important épanchement d’hydrocarbures à Bodo. Du pétrole s’est écoulé dans des marécages pendant une durée comprise entre quatre et 10 semaines, selon diverses estimations. D’après Shell, 1 640 barils de pétrole s’y sont déversés ; une évaluation indépendante indique cependant que la quantité de pétrole échappée de l’oléoduc aurait pu atteindre les 4 000 barils par jour. Le flot de pétrole a finalement été stoppé le 7 novembre 2008.

Le 7 décembre 2008, une seconde fuite s’est produite à Bodo, là encore en raison d’un équipement défectueux. Ce déversement a été signalé à Shell le 9 décembre. Ce n’est que 10 semaines plus tard qu’il a pu être contenu.

Après avoir essayé pendant des années d’obtenir que Shell nettoie les dégâts et les indemnise, les habitants de Bodo ont porté l’affaire devant les tribunaux du Royaume-Uni cette année. Si la procédure est toujours en cours, il existe un espoir que la situation puisse être résolue à Bodo.

D’après le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), plus de 60 % des habitants de la région dépendent de leur milieu naturel pour vivre.

Le PNUD ajoute que plus de 6 800 déversements ont été signalés entre 1976 et 2001, ce qui représente une perte d’environ trois millions de barils de pétrole. De nombreux experts estiment qu’en raison du faible taux de signalement, ces chiffres seraient bien en deçà de la réalité.