Après l’extinction qui a marqué la fin de l’ère primaire, il y a 252,6 millions d’années, les récifs à animaux multicellulaires ont mis moins de deux millions d’années pour réapparaître et se diversifier. Jusqu’à présent, on pensait que ce temps de récupération avait été d’une dizaine de millions d’années. Ces résultats ont été obtenus par une équipe internationale menée par quatre chercheurs français du laboratoire Biogéosciences (CNRS/Université de Bourgogne) et du Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/ENS Lyon). Ils seront publiés le 1er octobre dans la revue Nature Geoscience.
Il y a 252,6 millions d’années, la Terre traverse la plus grande extinction de masse jamais enregistrée : la crise permo-triasique (1). Plus de 90% des espèces existant alors disparaissent brutalement, notamment dans les océans, laissant une biosphère dévastée qui mettra 10 à 30 millions d’années avant de retrouver une biodiversité comparable à celle d’avant la crise. A l’appui de ce scénario « d’écocide (2) global », de nombreux enregistrements sédimentaires et géochimiques attestent de perturbations environnementales majeures durant l’ensemble du Trias inférieur (les cinq millions d’années qui suivent l’extinction de masse) : cycle du carbone anormal ; océans acides, appauvris en oxygène et enrichis en gaz carbonique et en sulfures. D’après le consensus auquel la communauté scientifique est parvenue après un demi-siècle de recherches, les havres de diversité marine que sont les récifs, disparaissent durant tout le Trias inférieur. A leur place se développent des dépôts massifs de carbonates d’origine exclusivement microbienne appelés microbialites, témoins d’écosystèmes dépourvus d’organismes multicellulaires.
En 2009, un groupe franco-suisse a remis en cause ce paradigme de « rediversification lente et retardée » en montrant que, suite à l’extinction permo-triasique, la diversité des ammonites avait réaugmenté 10 à 30 fois plus rapidement que ce qu’on estimait jusqu’alors (3). Aujourd’hui, la même équipe met en évidence la réapparition rapide – à l’échelle des temps géologiques, soit après 1 à 2 millions d’années – de récifs à animaux multicellulaires (métazoaires). Pour arriver à ce résultat, plusieurs années d’exploration méthodique des vallées du Sud-Ouest des Etats-Unis (Utah, Nevada et Californie) ont été nécessaires. De ces observations de terrain doublées d’une étude microscopique de centaines d’échantillons rapportés en laboratoire, deux informations ressortent : à plusieurs endroits et à plusieurs moments durant le Trias inférieur se sont développés des récifs formés par l’association de microbes et d’éponges de morphologies et de tailles variées. Ces récifs abritaient une faune diversifiée comprenant, entre autres, des foraminifères, des serpules, des gastéropodes, des bivalves, des ammonites, des ostracodes, des brachiopodes, des échinodermes et des conodontes.
Le rétablissement rapide de récifs à métazoaires diversifiés dès le début du Trias inférieur relance le débat sur les rythmes et les modalités de la rediversification biologique consécutive à la crise permo-triasique. Si on sait mieux comment se déclenche une extinction de masse, la façon et la vitesse à laquelle la biosphère récupère et se rediversifie après une telle crise demeure toujours mal comprise. Alors que l’Homme engage vraisemblablement la Terre dans sa sixième grande crise du vivant, ces résultats rappellent que le rétablissement d’écosystèmes diversifiés suite à une extinction de masse, s’il peut être relativement rapide à l’échelle des temps géologiques (quelques centaines de milliers d’années), est, à notre échelle, un processus long, courant au minimum sur plusieurs dizaines de milliers de générations humaines.
Ce travail a bénéficié du soutien financier du CNRS, de la Fédération pour la recherche sur la biodiversité, de la région Bourgogne et du Fonds national suisse.
(1) Du nom des deux périodes géologiques qui l’encadrent, le Permien (299 – 252,6 millions d’années) et le Trias (252,6 – 201,6 M.a.), cette crise marque la fin de l’ère primaire, ou Paléozoïque, et le début de l’ère secondaire, ou Mésozoïque. Elle est probablement liée à une intense activité volcanique en Chine et en Sibérie.
(2) Un écocide (néologisme construit à partir des mots « écosystème » et « génocide ») est la destruction (naturelle ou anthropique) systématique et totale d’un écosystème.
(3) Voir Brayard et al. (2009 – Science, 235 : 1118-1121) et le communiqué de presse associé
Contacts :
Chercheur CNRS l Arnaud Brayard l T 03 80 39 36 95 l arnaud.brayard@u-bourgogne.fr