Le 7 avril 2010, jour du seizième anniversaire du début du génocide tutsi au Rwanda, une soixantaine d’organisations et de personnalités françaises lançait un « Appel citoyen France-Rwanda » pour « faire toute la lumière » sur « les graves erreurs d’appréciation », les « erreurs politiques » et la « forme d’aveuglement » ayant caractérisé le comportement de la France durant le génocide, selon le discours prononcé le 25 février 2010 par Nicolas Sarkozy, premier Président français se rendant en visite au Rwanda depuis les massacres. Le texte, signé entre autres par quatre parlementaires ou hauts responsables d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), se fondait sur les travaux de la mission d’information parlementaire de 1998 et sur ceux de nombreux chercheurs et ONG pour poser notamment la question : « Comment les autorités politiques et militaires françaises ont-elles pu soutenir, par des conseils militaires, la fourniture d’armes, et l’engagement direct de troupes, un régime qui avait fait du racisme anti-tutsi un point central de son identité et de son action ? ». « Il est essentiel d’apporter des réponses claires à ces questions et de préciser la responsabilité de ces autorités », poursuivait l’appel, avant de demander aux partis politiques de « prendre une position publique sur la nécessité de faire ce travail historique et de s’engager en faveur d’une recherche de vérité et de justice ».
En France, le Président de la République est le chef des armées. Sur le théâtre des conflits, la politique étrangère de la France est menée en premier lieu depuis l’Elysée. En 1994, un président vieillissant et malade, ancien ministre des colonies qui avait confié la gestion des affaires africaines à son fils, a cru bon soutenir jusqu’au bout, militairement et politiquement, un régime extrémiste qui avait commencé d’exterminer une partie du peuple rwandais. Dans l’extrême centralisme qui préside aux institutions françaises, et même en période de cohabitation, ce choix a entraîné tout l’appareil d’Etat, sauf le Parlement qui ne fut jamais consulté sur la présence et le rôle des militaires français au Rwanda. L’envoi de matériel militaire à des responsables génocidaires, leur réception à Paris plusieurs semaines après le début des tueries, l’exfiltration de nombre d’entre eux au Zaïre via l’opération militaire Turquoise sous couvert humanitaire entre juin et août 1994, les incroyables votes à l’ONU visant notamment à effacer les traces de la responsabilité française, comme celui d’avril 1994 sur la diminution des effectifs des Casques bleus ou celui de novembre 1994 sur la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) dont le statut a été très habilement négocié par le représentant français à l’ONU… Tous ces faits laissent penser que l’Etat français pourrait être complice de génocide, au sens donné à ce terme par la jurisprudence du TPIR : un accusé qui « a sciemment et volontairement aidé (…) d’autres personnes à commettre le génocide, sachant que (…) ces personnes commettaient le génocide, même si l’accusé n’avait pas lui-même l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie le groupe (…) visé comme tel. »
Evidemment, cette hypothèse reste à prouver par un large travail documentaire. Trois initiatives significatives pourraient y aider :
– sur le plan judiciaire, l’arrêt des freins manifestement politiques qui retardent l’instruction des neuf plaintes contre X déposées pour la plupart depuis six ans par des victimes tutsi devant le Tribunal aux armées de Paris pour « complicité de génocide et complicité de crime contre l’humanité », concernant l’opération Turquoise ;
– sur le plan historique, l’ouverture aux chercheurs de l’ensemble des archives de l’Elysée, du Quai d’Orsay, du ministère de la Défense et des autres ministères, liées à la gestion du dossier Rwanda en 1994 ;
– sur le plan politique, l’instauration d’une mission d’enquête parlementaire relative à la politique française durant le génocide rwandais, aux moyens d’action bien plus conséquents que la seule mission d’information de 1998 – les conclusions de cette mission d’enquête pourraient porter également sur la revalorisation du rôle du Parlement en matière militaire.
Dix-sept ans après le début du génocide, EELV demande au gouvernement actuel de mettre en oeuvre ces initiatives, et s’engage à les mettre en oeuvre dès que ses responsabilités gouvernementales le lui permettront. Quand il aura abouti, ce travail documentaire devra faire l’objet d’une communication solennelle, par exemple lors d’une prochaine date anniversaire du génocide tutsi. Lorsque des événements violents ne sont pas pensés, en effet, ils ont tendance à se répéter : toute l’histoire coloniale de la France est là pour l’attester. Il est grand temps pour l’Etat français de regarder en face sa responsabilité dans le génocide rwandais.
Europe Ecologie Les Verts